Les cahiers de la Société Barruel ou la chasse à la Gnose

Par Nelly A.



Les cahiers de la Société Barruel ou la chasse à la Gnose
Etablie à Lyon et opérant autour de 1990, la Société Barruel s'est donnée pour mission de documenter la « pénétration de la Révolution dans le Christianisme ». Elle a été fondée par Jean Vaquié et Etienne Couvert, à la suite de la lecture de la « Charité Profanée » de Jean Borella, si l'on en croit une notice. Elle a publié vingt sept numéros d'un bulletin semestriel très prisé dans les milieux tradis purs et durs ; des mentions élogieuses en ont été régulièrement faites dans « Lecture et Tradition » et « Sous la Bannière », qui ne passent pas parmi les publications les plus ouvertes au monde contemporain.
L'intégralité des livres d'Etienne Couvert se trouve pré-publié ici ; on peut citer parmi les autres rédacteurs Paul Raynal et un certain LD fort allumé. Jean Vaquié lui même n'écrira que peu dans les derniers numéros, si l'on excepte sa somme sur l'ésotérisme chrétien que représente le double numéro 22-23.

La ligne du parti

Les cahiers de la Société Barruel se placent dans la ligne de l'antimaçonnisme du XIXème siècle et de la RISS, qui voit dans les loges une contre-religion perverse et nuisible visant à détruire le catholicisme (de préférence tridentin, royaliste et antimoderne : Jean Vaquié, outre le fait d'avoir été un fidèle de la Fraternité St Pie X, était royaliste providentialiste).
Cette ligne varie notablement selon les auteurs : si les thèmes généraux sont communs, chaque auteur garde ses dadas et ses thèmes de prédilection.

Etienne Couvert : la gnose est elle soluble dans la Mer Morte ?

Etienne Couvert, comme on le sait, débusque et voit la gnose de partout &... même où elle n'est pas. Dans le numéro 21, par exemple, les accents nihilistes de Wagner dans le Ring et surtout dans Tristan sont mis sur le compte de la gnose : Etienne Couvert a lu « l'amour et l'occident » de Denis de Rougemont. Son auteur était un catho de gauche notoire, mais apparemment, c'était quand même bon à prendre. Nous retrouvons dans le paragraphe consacré à Wagner la thèse de Rougemont résumée en quinze lignes, nullement critiquée mais déformée pour la faire rentrer dans le moule de l'omniprésence gnostique. Rougemont affirme qu'il y a une pulsion de mort au fond de tout amour-passion, et que son expression la plus explicite a été donnée dans le Tristan. La thèse de Rougemont n'est d'ailleurs pas exempte d'esprit de système (que l'on songe à Roméo et Juliette comme contre-exemple) et trop souvent prise pour argent comptant par des étudiants en littérature heureux de disposer d'une synthèse prémâchée qui explique tout d'un trait. Etienne Couvert reprend donc l'idée à son compte : l'amour passion renferme une pulsion nihiliste, certes, mais ce n'est pas parce que Wagner, artiste, a voulu exprimer une vérité indicible sous les voiles d'un opéra, c'est parce qu'il était gnostique, révolutionnaire, gauchiste, et qu'il se plaçait dans un courant immémorial de destruction du catholicisme.
Dès lors il n'est pas difficile à Etienne Couvert de mettre en évidence la gnose chez tous les auteurs qui ne sont pas parfaitement catholiques. Victor Hugo, grand dadais du socialisme mystique, a une place de choix ; Chateaubriand, qui se fût volontiers fait « bénédictin honoraire » à Solesmes, selon ses propres termes, n'est pas épargné : René, c'est Satan, etc. A l'occasion, notre auteur tombera juste : sa critique (brève) de Milton et Blake annonce exactement le propos et la ligne d'un roman de jeunesse capital et méconnu, « His dark materials » de Philip Pullman, paru ces dernières années.
Ensuite, Couvert se livre à la chasse au gnostique partout ailleurs : dans la pensée russe du XIXème, dans l' « école française », dans des documents sur le bouddhisme qu'il est le seul à ne pas occulter (pourquoi et comment, lui qui est prof de français à la retraite ? c'est une autre histoire).
Le passage sur l'école française est éloquent. Alors que nombre d'instituts conservateurs chérissent ses maîtres qui ont exprimé mieux que quiconque ce qu'était l'adoration, Couvert n'hésite pas à mettre Descartes, Malebranche et Bossuet dans le même sac. Il part du principe que la philosophie thomiste (même pas la théologie, hein, la philosophie !) est la seule vraie, et accuse tout le monde, y compris Bossuet, de platonicisme. A l'école d'Etienne Couvert, il n'y a plus qu'un seul docteur de l'Eglise : St Thomas... et plus un seul Père !

La réponse aux piques envoyées par Michel Michel dans « La Droite du Père » vaut son pesant d'or. Michel Michel affirme, avec un certain humour à froid, qu'il n'a rien contre l'Inquisition mais qu'il aimerait qu'au moins les inquisiteurs soient qualifiés. Etienne Couvert prend cela personnellement et répond rageusement. Connaissant les deux hommes, je puis dire qu'Etienne Couvert n'aurait pas dû s'acharner : ce n'est pas lui le plus brillant des deux.

On ne sait si Etienne Couvert est qualifié. Il est certain qu'il est très érudit ; il a lu les livres qu'il mentionne en bibliographie. Il est d'ailleurs le seul des Cahiers Barruel à donner une bibliographie à ses articles. Les livres qu'il lit ne sont pas « grand public », certains sont rares ou anciens. Mais cette méticulosité même est suspecte : comment peut-on tant lire, tant assimiler, tant synthétiser, sans faire d'erreur, et discerner correctement la valeur de tout ce qu'on lit ? Etienne Couvert est un homme de système, d'une seule idée : il explique tout par la gnose, absolument tout. N'est-ce pas trop simple ? N'est-ce pas trop réducteur ? N'est-ce pas, à certains moments, forcé ? Ne va-t-il pas ne lire que des ouvrages qui flattent sa thèse ? Ne l'a-t-il pas même trouvé dans quelque obscur manuel contre-révolutionnaire des années vingt ?
Pour résumer de façon blessante, le hobby d'un prof de français à la retraite qui aime lire est-il à la hauteur de ce que son auteur prétend dévoiler ? Il est permis d'en douter.


Paul Raynal : la quatrième roue du carrosse

Paul Raynal est l'auteur d'une étude fastidieuse sur le surréalisme. Je ne commenterai pas plus avant, n'ayant jamais réussi à la finir.


Jean Vaquié : des dangers de se vacciner contre la gnose

Jean Vaquié... ah, Jean Vaquié ! Fait non négligeable, c'est un tradi qui eut un passé de résistant &... et qui se serait trouvé fort à propos pour révéler celui de Léon de Poncins, lui évitant le peloton. Passons.
On connaît les qualités de Jean Vaquié : clarté d'expression, sens de la synthèse, sens de la formule choc, jusqu'à l'exaspération : relire les titres de chapitres de son abrégé de démonologie : il n'est question que de « combat dans le ciel » et j'en passe.
Jean Vaquié a aussi ses défauts : l'idée fixe, et l'esprit de système. Il construit de brillants petits traités sur des points secondaires, insignifiants et sur des interprétations abusives. Il peut à ce titre se vanter d'avoir hurlé sur la réforme liturgique avant même la fin du Concile.
Jean Vaquié pose comme base l'existence de la « Révolution », principe mauvais et destructeur du catholicisme et de l'ordre naturel. Il lui confère une unité, et des objectifs déterminés. Que le royaume de Satan soit « divisé contre soi-même » est absolument hors de question pour lui : il écrit même que « la Révolution est une ».
Ceci posé, il interprète tout fait comme le reflet d'un combat mystique dans les cieux entre Dieu et la Révolution. C'est à proprement parler du catholicisme teinté fortement de manichéisme. Lui même aurait été le premier à s'en offusquer, mais ses écrits osnt là : il n'est question que de combat, d'influence directe du surnaturel bon ou mauvais sur les hommes. Ses ouvrages volumineux, un traité sur les révélations privés et un abrégé de démonologie (présenté comme une « science ») montrent bien où se situaient ses amours : le monde naturel ne l'intéresse guère ; ce n'est qu'un reflet du monde surnaturel qui est seul intéressant. Le surnaturel est partout et à l'oeuvre : nous ne parlons pas de la grâce, mais de légions d'anges et de démons qui interfèrent directement avec l'homme. Jean Vaquié s'est pour ainsi dire pris au piège du panthéisme qu'il dénonçait à force de le fréquenter.

A partir de cette allégorie de la caverne christianisée, il pourra écrire des petits traités fort séduisants mais inessentiels. Ce n'est pas parce que le psaume 21 comporte « concilium malignantium obsedit me » qu'il est une prophétie de Vatican II. Inutile de dire que pour notre auteur, dans le combat du bien et du mal, Vatican II figure la chute de l'Eglise dans les rets de la Révolution !
Des intuitions chrétiennes resurgissent : si l'Eglise meurt, elle va ressusciter. Mais c'est pris dans un sens tant littéral qu'on ne se demande pas s'il finira par dire que la Passion du Christ est une allégorie d'un macrocosme quelconque.
Jean Vaquié ne s'est pas « lâché » jusqu'au bout ; il n'en demeure pas moins que sa focalisation excessive sur la gnose et René Guénon a considérablement déformé son sens catholique, hypertrophiant le surnaturel, et le séparant finalement assez peu des auteurs qu'il prétend combattre.

Le grand oeuvre de Jean Vaquié, quelques mois avant sa mort, est une dénonciation de l'ésotérisme chrétien. Il occupe les numéros 22 et 23 de la revue. La thèse de cet épais ouvrage est simple : un courant gnostique, inspiré de René Guénon, infiltre le catholicisme et pervertit le concept même de tradition. L'ouvrage répertorie les auteurs les plus importants de ce courant, leurs thèses et les réfute succinctement.
Le père de toutes ces tendances est l'abbé Stéphane, un curieux prêtre expulsé de son diocèse et réfugié à « Ginette ». L'abbé Stéphane est un peu le Jean Vaquié de l'ésotérisme chrétien : il développe un cercle d'amis, écrit des petits traités pour eux dans lesquels il se montre tour à tour orthodoxe et beaucoup plus inventif.
Jean Vaquié recense ensuite François Chénique, le compilateur de l'abbé, puis Jean Borella, son disciple le plus en vue, et quelques autres.
On ne peut s'empêcher en le lisant de trouver que le problème d'une soi-disant « école » de l'ésotérisme chrétien est bien amplifié : le lectorat de Guénon est aujourd'hui très peu important, personne ne connaissait les noms cités par Vaquié avant de les lire ; et l'on se trouve bien plus en face d'auteurs tentant de concilier catholicisme et ésotérisme que d'une école agissante. Jean Vaquié assombrit le tableau à souhait en citant ensuite des disciples catholiques, dont Yves Chiron (il s'attirera un démenti vigoureux de ce dernier), et un abbé Lechesne fort oublié, alors jeune abbé de la Fraternité St Pie X, dont les écrits sont plus à mettre sur le compte de l'enthousiasme face à quelque chose qui sort de la vulgate tradi enseignée à Econe que d'une intention malveillante et souterraine. Mais Jean Vaquié est comme ça : rien n'est laissé au hasard : un acte s'inscrit forcément dans les manoeuvres de l'Eglise ou de la Révolution &... et notre abbé Lechesne devient un conspirateur.
A l'occasion, cela donne des passages savoureux, lorsque notre auteur dénonce en passant « l'hyper thomisme » de l'entre deux guerres et se fait remettre en place par les Monsieur-je-sais-tout de tradiland, les Dominicains d'Avrillé eux mêmes ! On n'est jamais trop thomiste...
Aujourd'hui encore, en 2003, un Philippe Ploncard d'Assac, dans une de ses conférences, fera de la délation des méchants un de ses passages obligés ; l'abbé Lechesne bien oublié, ce seront les abbés Célier et de Tanouarn qui en feront les frais. Le gibier est devenu plus gros. Notons que si l' « hyper thomisme » posait &... légitimement &... des problèmes à notre auteur (qui devait s'éteindre quelques mois après la parution de l' « école de l'ésotérisme chrétien »), le fait que la Fraternité St Pie X soit la première contaminée n'a jamais été mis en rapport avec sa rupture avec le Magistère, la section du cordon ombilical de la saine doctrine qui la reliait à Rome. La FSSPX est la première infectée parce que c'est la moins irriguée : Jean Vaquié ne remarque jamais cela publiquement.


LD : l'horreur in vitro et in vivo

Le quatrième mousquetaire est un certain LD qui signe une série d'articles sur « la révolution sexuelle » qui amassent « fait » sur « fait » de projets maçonniques plus horrifiques les uns que les autres. Curieusement, c'est sans jamais citer ses sources. On y parle sans rire de fécondation d'une ovule par une autre ovule, et de plein de recherches de science fiction « très avancées » mais sans jamais mentionner où il en a entendu parler. Peut-être ne veut-il pas que ça se sache.
Après quoi, LD se lancera dans une énumération non moins fastidieuse des groupes qui sont censés « nous gouverner secrètement » et de leurs membres, sans jamais omettre de mentionner si la concierge de tel grand homme était marxiste, ou si tel autre était juif. Probablement l'oeuvre de compilation de dizaines de numéros de « Lectures Françaises », leur empruntant leur antisémitisme et leur antimaçonnisme irréfléchi, ces articles de LD étalent sur les colonnes à n'en plus finir des noms de groupe, des noms de méchants messieurs, et pas un signe permettant de poser les groupes les uns par rapport aux autres, ou savoir ce qu'ils font. Golias est nettement meilleur dans le genre. Ce que l'on en retire est l'impression bien connue que le monde est gouverné par des société secrètes malveillantes qui ne reçoivent que des banquiers juifs. Pour une fois, il y a une bibliographie : tout sort effectivement de « Lectures Françaises » et de « National Hebdo ».

Le numéro 27 verra un ultime délire de LD, et un article outrancier écrit par un « abonné étranger » qui prétend déceler une influence anthroposophique de Rudolf Steiner sur Jean Paul II, nommé « Wojtyla » tout au long de l'article. L' « abonné étranger » cite ses sources : c'est éloquent : tout sort de l'abbé de Nantes et de son « liber accusationis secundus » qui présente un titre marrant et qui se la pète à défaut de présenter autre chose. Pour résumer, le fils de frère du garagiste de la concierge du futur Jean Paul II avait du un jour toucher un livre de Steiner dans une brocante. Et paf !
Les Cahiers Barruel, après avoir fait du Pape, rabaissé à « Wojtyla », un disciple de Steiner, avaient sans doute poussé le bouchon un peu loin. La publication des Cahiers n'ira pas au delà de ce numéro. Quelques semaines plus tard, les abonnés recevront un papier les informant que le reste de leur souscription avait été convertie en un abonnement à « Lecture et Tradition », la revue « la plus proche » des idées du Cercle Barruel. On s'étonne qu'ils ne l'aient pas qualifiée de « la moins lointaine », qui aurait quand même plus été dans l'esprit de la pieuse société...

30/03/2004
Nelly

Tags : Gnose




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