Les deux étendards, Dossier d'un chef-d'oeuvre maudit (Le père François Varillon et Lucien Rebatet)



Les deux étendards, Dossier d'un chef-d'oeuvre maudit (Le père François Varillon et Lucien Rebatet)
Dans son essai, Les Deux étendards, dossier d’un chef-d’œuvre maudit, Pascal Ifri dévoile l’identité de ceux qui ont inspiré les personnages de Régis, le futur jésuite et d'Anne-Marie.

L’épisode de Brouilly n’est pas fictif. Un ami de jeunesse de Rebatet a vécu cette nuit mystique qui a définitivement décidé de sa vocation , et effectivement l’écrivain, subjugué par cette quête de pureté, a conçu une grande fascination pour ces deux «amants célestes», au point de tomber amoureux de la jeune fille. Cet ami de jeunesse est devenu le fameux jésuite, le Père jésuite François Varillon, auteur de nombreux livres et traités spirituels (décédé en 1980). Dans son autobiographie posthume, Beauté du monde et souffrance des hommes, il ne fait aucunement allusion à cet amour de jeunesse. Cependant de 24 à 25 ans, il a tenu un journal qui a été édité (Journal d’une passion, Centurion, 1994). Pascal Ifri apporte cette précision éclairante : «La narration de Varillon de la nuit de Brouilly et des faits précédents et subséquents correspond à peu près aux événements relatés dans les Deux étendards». Et le critique de citer quelques passages de ce carnet : « Une sérénité infinie planait autour de nous et en nous.. Je me souviens que vous me regardiez mon ange, avec ce sourire infiniment doux et infiniment triste qui révèle les âmes sacrifiées et résignées au sacrifice… A brouilly, vers deux heures je savais que je serai prêtre… et je cachais mon front contre votre poitrine. Sans parler nous restions longtemps, vierges de pensées et d’actes, tandis que notre cœur se dilatait à l’infini... Deux mots tremblaient sur mes lèvres, fugitifs au sein de l’extase qui semblait éternelle : Prêtre – Simone. Et je ne voyais là nulle contradiction. Si vous aviez pu prévoir votre vocation, peut-être auriez vous prononcé vous aussi ces quelques syllabes : Religieuse- François» ( après cette nuit il fut convenu qu’au moment où François entrerait au Séminaire, Simone commencerait son noviciat dans un ordre féminin).
Alors que la nature sensuelle de Simone commence à s’éveiller, François lui écrit encore : «Et, vous Simone, vous avez le bonheur d’être aimé d’un prêtre ! Et il n’aime que votre âme, et jamais il ne cessera de vous aimer. A l’autel du Christ, Le tenant dans ses mains, il pensera chaque jour à vous en pleurant. Les lèvres contre l’hostie, en se donnant lui-même le Créateur en nourriture, il répètera les mêmes mots : «Mon Dieu rendez Simone sainte» Et vous serez religieuse ! Et vous me rendrez l’amour dont je vous comble». Cette histoire touchante devait connaître un épilogue assez dramatique. Le critique poursuit son commentaire du journal de François Varillon : « François n’en passe pas moins l’essentiel de son journal à se persuader et à persuader Simone de la nécessité et du bien fondé de leur "sacrifice", comme dans ces passages particulièrement naïfs et pathétiques, tout au moins pour celui qui connaît le destin de la jeune fille». Ce passage par exemple : «Nous mourrons vierges, comme aux jours de notre jeunesse, et alors il ne peut pas, c’est l’aveu d’un athée, d’un blasphémateur, que Dieu nous refuse dans l’Eternité la place qu’ont gagnée les saints». Cet athée c’est bien sûr Lucien Rebatet. Il faut noter que Simone Chevallier, devenue plus tard romancière, a aussi relaté la nuit de Brouilly qui a laissé en elle une empreinte indélébile.

Evoquons en quelques mots le destin de Simone. Alors que la jeune fille commence à être tenaillée par les premiers doutes sur sa vocation religieuse, elle subit un véritable choc en apprenant le décret du directeur de conscience de Varillon qui l’oblige à la quitter, provoquant son éloignement de la religion puis sa fuite. Elle multiplie alors les aventures, avec des hommes et des femmes. Elle sombre dans la débauche la plus effrénée. Sa dernière rencontre avec Rebatet a lieu au cours d’une de ces démentielles orgies. Son mode de vie devient alors délirant, et ira en s’accentuant avec l’âge, avec maintes histoires d’amour, souvent avec des hommes beaucoup plus jeunes, un prêtre défroqué par exemple ou une jeune fille de seize ans qu’elle enlève à ses parents et avec laquelle elle va vivre plusieurs années. Mais elle la quitte pour un jeune homosexuel, prince byzantin. La jeune fille tombe alors dans la drogue avant de se suicider.
La fin du roman de Rebatet prend tout son sens à la lumière de ces éléments biographiques. Il s’agit de la confrontation entre Régis qui s’apprête à entrer au noviciat et Michel qui l’accuse d’avoir détruit Anne-Marie… :

Michel : Ce n’est pas mon dépit qui parle. Je dis qu’elle n’a plus une chance sur cent de s’en tirer, de se relever et que personne n’a plus travaillé que toi à sa perte. Mais je suis encore trop grossier? Alors voilà une pointe plus fine, tâtes-en entre tes côtes. Tu n’as même pas eu le courage de quitter Anne Marie. Tu t’es dérobé à ses adieux, tu t’es défilé honteusement. C’est toi que tu as épargné, ce n’est pas elle. Ce qu’elle pouvait ressentir, tu t’en es bien moqué, chaque fois où tu l’as piétinée. Tu l’as trompé une dernière fois pour tes aises. Tu t’es arrangé un petit départ confortable, avantageux, une sorte de petite apothéose. Il ne t’a pas suffi de siroter ton plaisir en le déguisant de tes abjects prétextes… Dans l’épanouissement de ton douillet petit égoïsme, il faut que nous lisions, nous les êtres de boue, la félicité des êtres de Dieu. Ah, ah, tu allonges le nef, cette fois, ça pique, ça cuit, tu verdis. J’atteins le point sensible. Dis moi donc que je mens !
Régis était très pâle en effet. Il venait de se voûter en quelques minutes
Régis : Ce n’est pas possible, murmura-t-il. Tu ne peux pas savoir la douleur que tu me causes.
........
Michel : Toujours envie de s’esbigner au mauvais quart d’heure , hein ma belle âme. Désolé mais je n’ai pas terminé… Ce qu’Anne-Marie n’a pas voulu te dire, moi je te le dis. Elle saura avec quelle lâcheté tu t’es éclipsé : elle a toujours été trop douce, mais elle t’a jugé sans illusion. Je ne te regarde plus, tu pourrais encore trouver un moyen de m’attendrir. Je pourrais m’imaginer que je revois le garçon de Brouilly, de Paris, de Tristan, de La place Antique. Ce garçon que j’ai aimé n’existe plus. Tu l’as tué à petit feu. Tu l’as enterré sous ta défroque de prêtre. Tu n’es plus que le prêtre, non seulement l’ennemi des hommes, mais le pire ennemi de Dieu, si Dieu existe. Car vous le monopolisez ? Vous en brandissez la plus sinistre, la plus burlesque caricature. Tu m’as rendu d’ailleurs un fameux service, imbécile. J’aurais peut-être eu la simplicité de m’infliger des tourments durant des années. Tu m’as fait voir le christianisme. De ma vie je n’oublierai la gueule qu’il a. Je pourrais encore en parler longtemps… Tu es pour moi le plus ignoble et le plus stupide des criminels. La femme qui t’a aimé, et de quel amour, tu l’as moralement anéantie, tu l’as contaminée avec la saleté qui suinte de toi. De ton meilleur ami, tu as fais un mécréant irréductible. C’est du beau travail chrétien. C’est une entrée de carrière qui fait heureusement présager de la suite. Et maintenant fous le camp. Tu peux aller nager dans les joies, sur le sein de ton Seigneur.
Il tourna le dos d’une pièce, les deux mains enfoncés dans les poches de son manteau.. Michel passa ses deux mains sur sa figure. Il était subitement écoeuré de tristesse et de dégoût…( Les deux étendards, p. 1311)
…….

Et maintenant passons à l’épilogue :
Simone Chevallier est morte d’un cancer de l’anus, souffrant cette épreuve sans jamais se départir de sa bonne humeur coutumière...
Quant à François Varillon, il est devenu jésuite. Pendant la seconde guerre mondiale, il lutta contre le nazisme en participant activement à Témoignage chrétien. Varillon faisait partie de ceux qui ont demandé en 1951 au président de la République la grâce de son vieil ami, Lucien Rebatet, lorsque celui-ci attendait la mort à Fresnes. En 1974, il reçut le Grand prix de littérature catholique. François Varillon et Simone sont restés en contact tout au long de leur vie. A chaque anniversaire de la nuit de Brouilly, François disait une messe à l’attention de Simone.

12/03/2003
Sombreval

Tags : Rebatet





1.Posté par Alain Clerc le 19/10/2006 18:29
J'ignorais totalement l'histoire de cette amitié entre Rebatet et Varillon...
Pourriez-vous me dire dans quel oeuvre Simone Chevallier évoque la nuit de Brouilly ?

slts
Alain Clerc
Marseille

2.Posté par Jean d'Artois le 29/11/2006 23:39
Et dire que des tiroirs entiers d'ecrits de Rebatet pourrissent quelque part, dans l'indifference totale. Aurait on peur du dialogue en France ? Les idees de Rebatet sont elles si terribles que cela, on ne pourrait les demonter, il faut les cacher ? Quelle couardise ! Au moins vous prenez le sujet a bras le corps, le mecreant ne fait pas peur aux chretiens, pourquoi l'antisemite ferait il fremir les "democrates"? Ecoeurante censure. Merci pour vos articles consacres a ce grand auteur, ignoble certes, mais grand.

3.Posté par DAUTUN MARIE-FRANCE le 18/11/2007 14:34
Pouvez-vous me dire si et ou je peux acheter "Les deux etendards", ce livre qui me parait en tous points remarquable, de Lucien Rebatet ? Les editions Gallimard continuent-elles a le publier ? Un grand merci d'avance !

4.Posté par Sombreval le 18/11/2007 21:33
Bonjour,
"Les Deux Etendards" n'est plus publié, ni dans la collection blanche ni même en poche. Vous avez deux options : soit l'emprunter, soit l'acheter chez un bouquiniste ou un sur un site de livres rares ou épuisés (www.AbeBooks.fr ou livre-rare-book.com)...Gallimard de toute façon préfère publier les livres guimauves de Pennac ou de Barbery...c'est plus rentable...
Cordialement...

5.Posté par Zabou_the_terrible le 20/11/2007 12:23
Si je puis me permettre, il y a eu une réédition chez Gallimard au printemps dernier !


6.Posté par Papapascal le 12/05/2012 23:33
Bien des années après, reponse à la question d'Alain Clerc apparemment restée en suspens : le livre de Simone Chevallier s'appelle "La ville aux deux fleuves" . Il n'a d'interêt que comme" miroir "des Deux Etendards car pour le reste, c'est de la littérature de dame effroyablement datée qui ne mériterait même pas un coup d'oeil. Je peux en parler en connaissance de cause pour l'avoir recherché frénétiquement pendant plus de 30 ans avant de le trouver chez un bouquiniste lyonnais.

7.Posté par Alain CLERC le 02/04/2016 14:43
Merci à Papapascal pour ses précisions... que je ne découvre qu'aujourd'hui. Il n'est pas trop tard, puisque depuis ma question, en 2006, je n'ai jamais pu mettre la main sur un seul des livres de Simone Chevallier. Donc je continue mes recherches ! ;-)

8.Posté par Papapascal le 26/07/2016 09:42
Tiens, ma bouteille à la mer est arrivée à bon port entre les mains d'Alain Clerc! Tant mieux.
Une poignée de livres de Simone Chevallier semble disponible sur Amazon mais je sais bien que, pour de vieux écumeurs de bouquinistes, cette solution de facilité n'est "pas du jeu"...
La Ville aux deux fleuves ayant été tiré à compte d'auteur en 1946 chez un petit éditeur lillois, les chances de mettre la main dessus sont des plus réduites.
La meilleure me semble être d'explorer avec constance et sans se décourager les bacs des bouquinistes lyonnais car Simone Chevallier, pur produit du cru, doit avoir remis son livre avec un envoi autographe à quelques unes de ses connaissances locales.
C'est le cas de l'exemplaire que j'ai fini par dénicher... au bout de 30 ans!
Donc bon courage et patience!

9.Posté par Desplaces le 06/01/2017 21:42
Je suis le neveu du père Varillon que j'ai évidemment très bien connu, la famille a longtemps caché cet épisode amoureux aussi pur et beau soit-il. François Varillon enfant aller dans le Beaujolais d ou etait originaire sa mère Jenny Desplaces. Quelques temps avant sa mort j'y suis revenu en sa compagnie je me souviens très bien de l'émotion qui l'étreignait quand il revenait dans le village de son enfance et sans doute pensait-il en filigrane à cet amour jamais abouti.

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