Des hommes et des dieux : magnifique



Des hommes et des dieux : magnifique
Le réalisateur français, Xavier Beauvois, signe avec Des hommes et des dieux, un film à la fois puissant et profond. Eu égard à la production actuelle, rien ne laissait présager qu’un film aussi humble dans ses moyens d’expression mais d’une telle richesse de contenu pût voir le jour et atteindre un si vaste public.
Au départ les moines nous apparaissent comme les témoins d’une vie mise au service d’autrui et de la vie communautaire. Ils rendent gloire à Dieu par leur présence priante, et accomplissent leur humble besogne en appliquant ce principe monastique : Laborare est orare (travailler est prier). On songe alors à cette pensée de Pascal : «Faire les petites choses comme grandes, à cause de la majesté de Jésus-Christ qui les fait en nous, et qui vit notre vie ». Loin des mirages produits par la raison désincarnée, les moines s’appliquent à suivre ce que sainte Thérèse de Lisieux appelle la «petite voie» dont le philosophe Marcel De Corte a rappelé la nécessité impérieuse pour notre époque et qui consiste à accepter ce qui est, notre nature concrète, ainsi que la vie dans ses obligations élémentaires. C‘est cette humilité existentielle que cherchait à atteindre sainte Thérèse à travers sa «petite voie» et qu’illustre avec beauté Des hommes et des dieux. Il n’est pas étonnant que le dogme de l’Incarnation soit en quelque sorte l’axe autour duquel tourne le propos du film de Beauvois. Les moines, tout simplement, s’adonnent à ce que De Corte appelle la «glorification du banal réel, de notre pauvre activité journalière, terrestre», porteuse de germes d’éternité : «La tâche essentielle de l’homme, affirme encore Marcel De Corte, est de poursuivre l’élan natif de sa nature incarnée, à chaque instant de son existence terrestre… Sainte Thérèse a traduit jusqu’aux plus petites racines de sa vie – parce que l’homme doit justement commencer par là – le drame de l’Incarnation… Elle nous signale que le moindre geste de la vie ordinaire peut condenser en lui, en son existence éphémère, toute la lumière dévalant du ciel. Elle nous détourne aussi de l’orgueil de l’esprit qui, à l’en croire, – le pauvre ! – serait seul digne d’accueillir la Divinité. Elle relie la nécessité humaine, pur reflet de Dieu qui l’a créée, à la nécessité divine».

L’humble soumission des moines au réel, aux préceptes évangéliques de l’amour, du service, les rend d’autant moins aptes à affronter l’irruption de la barbarie, personnifiée dans le film par les groupuscules islamiques, voire par l’armée. Une sorte de lutte d’influence se joue entre les terroristes et les factions de l’armée gouvernementale, ce qui amplifie le chaos dans la région de l’Atlas. Les circonstances de la mort des moines et l’identité de leurs assassins restent donc encore mystérieuses. La mort de croates travaillant à quelques kilomètres du monastère inaugure une période de tension redoutable, rendue palpable dans le film, et qui va contraindre les moines à un choix déterminant pour leur vie : soit fuir, au risque de laisser le village où le monastère est implanté à l’abandon, soit rester, ce qui implique d’accepter le martyr. Certains, surtout les deux plus jeunes, reculent, se prononcent, lors de débats communautaires, pour le départ. Le scénariste s’est inspiré à l’évidence de certaines scènes des Dialogues de Carmélites, qui dépeignent la peur de sœur Blanche, encore novice et qui ne peut se résoudre à suivre les autres moniales sur le chemin du martyre. J’ai consacré plusieurs pages à cette pièce de Bernanos dans ma thèse sur la Réversibilité, à laquelle je vous renvoie (p.219-222). Pourquoi ces hésitations ? C’est qu’entre l’Incarnation et la Rédemption, il y a cette béance monstrueuse ouverte par le Mal. Certes, comme nous l’entendons proclamer lors de l’exsultet du Samedi Saint, la Chute nous a procuré le bonheur en nous valant d’obtenir un si grand Rédempteur : Felix culpa [Vraiment , comme le péché d’Adam était nécessaire, puisque c’est la mort du Christ qui l’a détruit ! Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur]. Mais peut-on inférer pour autant que si Adam, l’homme primitif, n’avait pas cédé à la tentation diabolique, le Rédempteur ne se serait pas incarné ? L’Incarnation devait-elle comporter éternellement la mort réparatrice et la Rédemption ? Cette problématique, Guillaume Pouget l’a exposée longuement dans ses dialogues avec Jean Guitton. Elle doit être reliée à la spiritualité franciscaine. Les moines, qui témoignent par leur vie de l’Incarnation, doivent donc affronter une réalité terrible, à laquelle ne les prédispose pas forcément la vie monastique, celle de la Passion du Christ, qui, comme l’écrit Zundel, est la révélation pathétique de l’amour de Dieu. C’est dans l’imitatio Cristi qu’ils trouvent la seule justification de leur vocation et de leur sacrifice qui la parachève. Contrairement à ce que maints critiques ont prétendu, Des hommes et des dieux n’est pas un film humaniste, dans lequel la dimension religieuse serait en quelque sorte voilée, laissant ouvertes toutes les interprétations, mythologiques, profanes ou autres. Si ce film est humaniste, c’est dans le sens où l’entendait un Maritain, celui de l’humanisme intégral, théocentrique, centré sur le Christ. Des hommes et des dieux, il faut insister sur ce fait, est un film profondément chrétien. Il n’y a pas d’apologie grossière de la foi. Mais la substance du message chrétien s’y trouve affirmée, avec toujours cette grâce légère qui est le propre de l’Esprit-Saint.


11/10/2010
Sombreval





Retrouvez dans cette rubrique :
< >

Lundi 8 Janvier 2024 - 15:06 Mises à jour

Recherche



BIBLIOTHÈQUE NUMÉRIQUE