Hommage à Albert Frank-Duquesne



Hommage à Albert Frank-Duquesne
Pour commencer, je tiens à remercier les Éditions franciscaines de m'avoir envoyé ce texte du frère Jean-Dominique, tiré du neuvième numéro des Cahiers de vie franciscaine, aujourd'hui épuisé. Ce très beau texte d'hommage a été écrit en 1956, quelques semaines après la mort de l'écrivain catholique.
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Le 17 juin dernier, en la fête du Sacré-Cœur, le Seigneur a rappelé à Lui Albert Frank-Duquesne.

Le départ de ce grand chrétien et de ce grand écrivain est passé inaperçu. II serait bien prétentieux de ma part, en évoquant sa mémoire, de vouloir rétablir la justice. Celle-ci se manifestera sans doute en son temps, quand Dieu le voudra. Je ne songe aujourd'hui qu'à dire l'ultime adieu de l'amitié et qu'à exprimer gratuitement mon admiration. .
L'œuvre de Frank-Duquesne se situe du reste assez haut pour pouvoir s'affirmer sans propagande. Il en est certainement peu, parmi tout ce qui nous est offert aujourd'hui, d'aussi riche et d'aussi enrichissante. Voici enfin un homme qui a cru à la Parole de Dieu! Cette Parole, ce Pain de l'esprit, il l'a poursuivie, et avec la même avidité qui pousse la masse des humains vers les nourritures terrestres. II l'a savourée, l'a tournée et retournée en lui, - comme aussi il s'est laissé retourner par Elle, - il s'en est laissé pénétrer jusqu'aux moelles. Il lui a demandé de féconder sa pensée, et il a été exaucé.
Si cette pensée se trouve être si originale, c'est parce que d'abord elle n'a cherché qu'à être originelle, c'est-à-dire postée, établie, autant qu'il est permis à l'infirmité humaine, dans cette Origine qui est aussi le Terme. C'est bien ce qui me frappe et m'émerveille dans les ouvrages de Frank-Duquesne: ce qui fait le meilleur de leur force et ce qui les préserve de vieillir - c'est tout ce qui, comme une voix à peine audible, nous parvient «par delà» - car «nous ne sommes pas au monde», a prophétisé Rimbaud - c'est cette phrase nombreuse, énigmatique à force de densité, de la Parole d'en haut se jouant avec celle d'en bas; tour à tour déployée dans la multiplicité et reployée dans la simplissime Unité; c'est cette multitude de signes, d'appels, de révélations d'une Sagesse transcendante qui déchire, entrouvre quelques instants ses voiles et projette sur toute l'étendue et dans l'épaisseur même la plus opaque de l'existence, les fugitives et étincelantes fulgurations d'une lumière qui n'est pas de ce monde et qui pourtant, seule, révèle et rend à lui-même ce monde, l'explique, le, relie, le rassemble sur son Axe incréé.

S'étonnera-t-on - le reproche lui en a été fait - qu'une telle pensée, aussi branchée sur la grâce qu'elle est attentive à la nature emmêle inextricablement philosophie, sciences naturelles, théologie, exégèse, mystique? Eh bien, tant mieux! Nous n'avions que trop, en Occident, et de trop mortelle façon, séparé des disciplines entre lesquelles un même sang doit toujours pouvoir circuler librement. Rien de plus stérilisant pour l'esprit que le cloisonnement des spécialisations. Contre ce péril, c'est la leçon de l'Orient que la méthode - peut-être l'absence de méthode - de Frank-Duquesne nous rappelle et nous propose.

Fils de rabbin, initié par lui à la Bible qu'il lut très tôt dans le texte hébreu, Frank-Duquesne apporte au christianisme, en même temps que les ressources mentales du génie juif, une multitude de matériaux: tout ce que les traditions rabbiniques - sans exclure même les spéculations de la Kabbale - contiennent de richesses utilisables, trop longtemps dédaignées de nos théologiens. Son passage dans l'Eglise orthodoxe - au cours de cette quête douloureuse de la vérité qui le mena d'étape en étape jusqu'à la foi catholique - fut aussi pour Frank-Duquesne l'occasion providentielle d'approfondir les Pères grecs, avec lesquels il se sentait comme en «harmonie préétablie», et de connaître les théologiens russes modernes. Ajoutons à cela une culture étonnamment variée, dont la devise pourrait être: «Rien de ce qui est ne m'est étranger», dont pourtant l'aiguillon ne fut point une curiosité gratuitement gourmande et dispersée, mais la certitude et l'appel intime de l'Unité et la volonté passionnée d'éclairer l'univers, dans la multiplicité de ses aspects et de ses rapports, par sa Cause première et dernière.

Ce souci d'unification théologique peut recéler un danger: celui de l'éclectisme ou du syncrétisme, qui laisseraient juxtaposés plutôt qu'organiquement reliés et vitalement intégrés tant d'emprunts étrangers. Mais ces éléments sont saisis précisément, par une très juste intuition, dans ce qui les ordonne les uns aux autres, dans ce qui reconstitue la trame de cette tunique sans couture du Christ "en qui habite toute la plénitude". Et c'est la Parole révélée, sans cesse interrogée et serrée de près, qui sauve la pensée de toute compromission bâtarde. Aussi sommes-nous loin ici, malgré un identique souci d'élargissement cosmique, de tel système scientifico-mystique actuellement très en vogue, aussi séduisant que lourd des plus redoutables équivoques. Car il ne suffit tout de même pas, pour le christianiser, d'affubler du vocabulaire chrétien et de baptiser à la hâte un système d'inspiration naturaliste, bâti en marge, édifié dans une splendide indifférence aux données de la Révélation et congénitalement inapte, entre autres choses inquiétantes, à intégrer - sinon verbalement - l'affirmation du péché originel. Il ne suffit tout de même pas, pour l'y rendre effectivement présent, de jeter par là-dessus, comme une garantie à bon compte, l'estampille du Christ. D'un Christ qui, à vrai dire, ne paraît plus garder grand chose de commun avec celui des Evangiles, des Epîtres et de l'Apocalypse.

Essentiellement, ontologiquement optimiste, la pensée de Frank-Duquesne, comme celle de ses ancêtres d'Israël, garde un sens aigu du péché. Aussi le drame du salut prend-il chez lui toute son intensité et toute son extension: la faute d'Adam se répercute jusque sur le monde physique et le désaxe. Mais aussi, dans le nouvel Adam, par une juste contrepartie, la Rédemption et la Gloire recouvrent les dimensions les plus vastes. «Si toutes les créatures, sans exception, trouvent dans le Christ - chacune d'une manière propre à sa nature - cette «résurrection» que Jésus Lui-même identifie à la palingénèse, c'est parce que le Père veut éternellement qu'en le Christ habite «toute la plénitude»: donc, l'infinie richesse de la Sagesse, monde intradivin, et l'indéfinie profusion de la nature, qui réverbère ce monde. En Lui, une fois de plus, «les deux peuples ne font qu'un», se rencontrent pour l'union d'amour: la Sagesse incréée et la créée, l'ultramonde et le monde, la surnature et la nature, la gloire d'En-Haut (comme dit la Liturgie) et la paix d'en bas. »

«Cosmos et Gloire», d'où ces lignes sont extraites, provoqua, on le sait, l'enthousiasme de Claudel, et c'est l'appui du grand écrivain qui finit par obtenir au nouveau venu, partout poliment éconduit avec ses manuscrits, l'éditeur qu'il recherchait vainement. Dès ce premier ouvrage, qui reste peut-être son chef-d'œuvre, Frank-Duquesne se livre déjà tout entier. Extrêmement significatives aussi ses «Réflexions sur Satan, en marge de la tradition judéo-chrétienne». Le monde angélique, devenu si plat, si inconsistant, dans notre théologie moderne qui l'a d'ailleurs, mis à part quelques traités tout récents, quasiment évacué, - ce monde des esprits retrouve là, comme du reste à travers toute l'œuvre, un dessin très ferme, une impressionnante intensité, une insertion très convaincante dans l'ensemble du plan divin. Signalons enfin un des apports les plus originaux de Frank-Duquesne, cette théologie du couple humain et des valeurs sexuelles qui fait l'objet de son dernier ouvrage paru : «Création et Procréation». Une littérature abondante, tournant autour de ce thème, nous a inondés ces dernières années, et il semblait difficile d'apporter du neuf. Mais qui avait songé à poser cette relation: «Trinité divine et Ternaire familial», qui ouvre à la réflexion le champ le plus vaste? Pour donner à la question cette amplitude, il fallait l'audace d'une foi sans cesse stimulée, ce regard sans cesse porté à interroger les choses célestes pour y percevoir la justification des terrestres.

A l'homme déraciné d'aujourd'hui, coupé de ses attaches vitales avec le Ciel et la Terre, ballotté entre le plus illusoire optimisme et la vision désespérée d'un monde que «l'absurde» envahit à proportion même du péché, l'œuvre de Frank-Duquesne propose une authentique sagesse, intégrante et unifiante, capable, en le réconciliant avec Dieu, de le réconcilier avec lui-même et avec l'univers.

Fr. JEAN-DOMINIQUE.

Dieu de béatitude et de gloire, sans Qui rien n'existe, rien n'a de joie, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ et notre Père, sois avec ton Fils et ton Esprit, béni et glorifié par toutes les créatures visibles et invisibles.
Nous te glorifions pour ton éternité, pour ta béatitude, pour ta splendeur, pour l'entière complaisance que Tu trouves dans le déploiement trinitaire de ton Amour, c'est-à-dire de Toi-même...
Nous Te bénissons pour ta révélation vivante en ton Fils et dans ton Esprit.
Nous te supplions de nous faire entrer dans le chœur universel des éléments cosmiques, du monde inanimé, de toute vie végétale, de la spontanéité animale, des humains vivants et trépassés, des Anges, des Archanges, des Vertus, Trônes, Dominations, Principautés, Puissances, Chérubins et Séraphins - robe sans couture de ton œuvre - pour Te chanter d'une seule voix :
SAINT, SAINT, SAINT, Yahvé, Dieu des célestes milices !
Sa gloire à Lui est la plénitude de la terre.
Amen.

(Texte inédit d'Albert FRANK-DUQUESNE.)

Fr. Jean-Dominique, "Hommage à Albert Frank-Duquesne", dans [Cahiers de Vie franciscaine]i n°9, 1956.


20/10/2006
Sombreval




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