La Procréation au Paradis



La Procréation au Paradis
Les «rites mystérieux de l’amour conjugal» (Milton) auxquels Adam et Eve se sont adonnés au Paradis doivent-ils s’entendre d’une façon purement charnelle ? Etaient-ils liés à l'acte sexuel ? Ces questions témoignent à elles seules de nos difficultés à concevoir une sexualité transfigurée, ordonnée et soumise à l’esprit. L’injonction à la «fécondité», à la «multiplication» énoncée au seuil de la Genèse («soyez féconds, multipliez, remplissez la terre») ne doit pas être interprétée selon les données de notre expérience actuelle, post-lapsaire (postérieure à la Chute). Mon essai contient un chapitre sur la «matrix magique de l’imagination» (2e partie) qui peut nous aider à concevoir ce que pouvait être la fécondité d’avant la Chute. L’âme recèle des forces qui peuvent agir sur le milieu ambiant et la matière. Cette idée a été souvent développée par Frank-Duquesne. Elle est associée dans son œuvre à une constellation de réflexions aussi profondes qu’originales : sur la guerre des anges, sur la fécondité primitive, précédant la Chute, et le pouvoir démiurgique des fidèles sauvés et glorifiés, après la Résurrection. Ces deux dernières sont approfondies dans un texte figurant dans son essai Création et Procréation, publié en 1951 aux Editions de Minuit. Sa thèse première c’est que la procréation a pu s’exercer primitivement par le canal de l’esprit, par l’exercice de la volonté, ce que j’appelle la «matrix magique de l’imagination» (A. Koryé), et non par la voie de la génération physique. La seconde thèse découle de la première : c’est celle de la «paternité spirituelle» si souvent évoquée par les Pères. Elle trouvera son accomplissement définitif après la Parousie, lorsque la palingénèse, la «naissance nouvelle» de l’homme et de l'univers, sera pleinement réalisée et que l'homme recouvrera son empire sur la création physique, sur l’anthroposphère.
Voici le texte retranscrit :

La « fécondité » est un état, qui s'exprime par l'acte de la «multiplication», dont l'effet est la «réplétion» de la «terre». Mais, puisque, dans notre hypothèse, le chapitre 1 de la Genèse nous montre la création d'Adam quant à l'essentiel, au nouménal – alors que l'accidentel et le phénoménal font l'objet du chapitre Il – faut-il envisager la «fécondité», avec tout ce qui s'ensuit, sous l'angle quantitatif ou qualitatif ? Certaines traditions non-chrétiennes ont d'immémoriales doctrines, vestiges peut-être des Révélations adamique et patriarcale, qui peuvent nous éclairer quelque peu («à la manière d'un lumignon clignotant dans les ténèbres», comme dit saint Pierre, mais cela vaut mieux que rien). C'est ainsi que le taoïsme connaît, sous le nom de postérité, un «prolongement» de l'homme qui n'a pas lieu par les voies physiques : nous serions, suite à certains entraînements, les géniteurs d'idées-forces, douées d'une vitalité propre, empruntées d'abord à la nôtre, puis à l'ambiance humaine en général – leur milieu «alimentaire» – et qui, donnée cette vitesse acquise, mèneraient une existence autonome, tendant à s'exprimer sur tous les «plans» phénoménaux, matériel compris. C'est, au fond, dans le domaine des forces psychiques, la mise au monde faustienne de l'homunculus. Serait-il impossible de voir, en ces notions, des souvenirs déformés de conceptions primitives et authentiques ? L'action de l'âme (du «mental» et du reste) sur l'organisme physique est-elle encore niable, quand la psychanalyse nous présente de nombreux symptômes pathologiques, indubitablement somatiques, comme la forme déguisée qu'auraient prise, refoulés dans l' «inconscient», tels désirs insatisfaits ou telles réminiscences désagréables de la «seconde enfance» ? S'il fallait établir une liste des phénomènes morbides que peut dissiper une psychothérapie bien menée, elle comprendrait des affections aussi variées que l'hémiplégie, l'atonie gastro-intestinale, la céphalée, la coxalgie, la mutité, la paralysie du poignet, la rétention d'urine, la cécité (sans lésions), les douleurs rhumatismales, les vomissements, le vaginisme, etc. :

Parfois, chez des femmes profondément travaillées par un impérieux besoin d'être mères, et chez qui ce désir se fait obsession, l'imagination – vestige en l'homme, mais combien incommensurable à son divin modèle, de la faculté créatrice ! – l'imagination, dis-je, stimulée par le ferment de cette aspiration passionnée, provoque les symptômes de la grossesse nerveuse : la menstruation s'arrête ; les seins gonflent, deviennent sensibles, voire douloureux, et sécrètent un liquide ressemblant à du lait ; des troubles digestifs (nausées et vomissements) se produisent comme au cours de la véritable «portée» ; les organes sexuels, et notamment l'utérus, se congestionnent et se dilatent ; des mouvements ont lieu dans l'abdomen, mimétisme inconscient dû à des déplacements de gaz ou de l'intestin. Ces phénomènes, dont la convergence et la synergie dénotent une véritable attitude pré-puerpérale de l'organisme (et cette conformité d'adaptation qui, d'habitude, trahit, dans la nature, l'exercice réel d'une fonction), ils sont dus cependant à la simple puissance de l'imagination, fouettée par le désir et pseudo-créatrice à son insu. Ne nous autorisent-ils pas à penser que, dans un autre «éon» – lorsque l'omnipotence de l'esprit s'exerçait sur une matière encore docile et plastique, vierge encore, avant donc son instinctive révolte actuelle contre son tyran (Rom., 8:20) – la procréation pouvait avoir lieu suite à l'exercice des volontés, dans un orgasme provoqué par des causes purement psychiques ? La « fécondité » primitive, prélapsaire, peut, par conséquent, même si l'on n'y voit que la faculté de propager physiquement la race, s'être réalisée tout autrement qu'après la Chute, dans la gloire d'un ordre soumis à l'esprit, non pas encore dans l'humiliation d'un coït animal provoquant la tristesse, comme dit le proverbe. Il est d'ailleurs significatif que le besoin purement physique de rapports sexuels s'éveille, non dans la dilatation de l'âme et sous l'empire d'une allégresse aurorale, mais dans un climat de dépression, sous l'empire d'une «perte de vitesse» animique. J'en appelle à l'expérience de tous : omne animal triste post coitum.

Mais cette fécondité d'avant la Chute, ne pourrions-nous l'entendre en un sens plus «spirituel» encore, et qui, d'ailleurs, n'exclurait pas l'autre ? «La paternité spirituelle», dit Origène au seuil du IIIe siècle, « est celle d'un Bienheureux Paul, qui pouvait écrire à ses néophytes : “Mes nourrissons, j'éprouve à cause de vous les affres puerpérales, jusqu'à ce que soit en vous formé le Christ” » (In Lev. Hom., 6:6). Cent ans plus tard, Eusèbe de Césarée affirme que «le père spirituel est bien plus vraiment prolifique que le charnel – ce n'est pas un ou deux enfants qu'il met au monde, mais une multitude innombrable» (Demonstr. Evang., 1:9). Après tout, le rayonnement, l'expansion, l'épanouissement de l'humain, sa «multiplication» résultant de sa «fécondité», puisque le but en est l'expansion indéfinie de l'homme intégral, on ne voit pas pourquoi l'on n'y comprendrait pas tous les «fruits», toutes les manifestations, toutes les possibilités d'Adam, à réaliser par toutes les voies concevables...
D'autre part, s'il s'agit, dans Genèse I, de l'homme comme idée, comme «type», et non de l'individu – ha-Adam, c'est une antonomase – cet homme, comme tel, comme spécimen caractéristique de l'humain, s'il se dilate, s'il étend à l'univers sa présence par son influence, s'il lui communique un être par son action, n'est-ce pas encore une forme, et supérieure, de «fécondité» ? L'artiste, le savant, le technicien, ne «dilatent-ils pas l'espace» de l'espèce (cf. Gen, 9:27) ? Ne reculent-ils pas indéfiniment, par leurs découvertes – en la double acception de la connaissance et de l'action – les limites de l'anthroposphère et donc de l'homme ? Quelques sophianistes russes ont osé «voir» le genre humain, guidé par l'Esprit-Saint, préparer, puis déclencher la Parousie, «réussir» la résurrection des morts et réaliser le Royaume de Dieu. Disons plus modestement qu'à la perfection des hommes correspondra, lors de l'universelle régénération (Matt., 19:28), celle des «nouveaux cieux» et de la «nouvelle terre», «où régnera la justice» (2 Pi, 3:13 ; Apoc, 21:1), c'est-à-dire précisément ce qui constitue la participation de l'espèce à la nature divine, la Sophie (2 Pi., 1:4). Notre corps transfiguré vivra dans une anthroposphère adéquate, parfaite en son genre, elle aussi, et nos rapports avec elle seront ipso facto parfaits : au lieu d'être asservis au monde, ou de le tyranniser – manifestation de la peur, autre asservissement – nous le gouvernerons comme des enfants de Dieu parvenus à maturité (l Cor, 6-2-3 ; Gal, 4:1-7). Nous en jouirons librement dans la paix, la joie et la sécurité, sans plus devoir, comme aujourd'hui, lui arracher, par ruse ou violence, des assouvissements éphémères, Disons même que, si nous interprétons adéquatement certains Passages du Nouveau Testament, nos relations avec l'univers glorifié ne se borneront pas à y situer spatialement notre liberté morale enfin restituée, mais consisteront aussi dans la régie directe et le gouvernement du monde. Le rôle que, depuis la Chute, les Anges, nos «curateurs», jouent à l'égard de la nature physique, saint Paul affirme à plusieurs reprises que nous en réassumerons la pleine responsabilité. Nous serons devenus «les égaux des Anges» (Luc, 20:36), dans les domaines mêmes où nous leur sommes inférieurs «pour un temps» (Hébr, 2:6-9 ; 1:14) : pour la spiritualité de tout l'être, la concentration de la volonté, l'envergure et l'autonomie de l'intelligence par rapport à ce qu'elle transcende, l'ordre régnant dans le composé humain, la sainteté, la consécration à Dieu. Enfin, nous pourrons exercer parfaitement les fonctions qui nous furent attribuées lors du fiat créateur sur l’homme (Gen, 1:28). Ne se pourrait-il même pas, se demande Fedorov, que ces facultés, dont procèdent aujourd'hui l'interprétation de l'artiste et les trouvailles de l'imagination, devinssent, par l'inhabitation désormais plénière du Saint-Esprit, d'authentiques puissances, des pouvoirs démiurgiques, de sorte que les enfants de Dieu susciteraient de nouveaux royaumes, des univers inédits, pour la gloire de leur Père ?
Tel est, croyons-nous, le sens de cette parole : «Soyez féconds et multipliez-vous.»

27/04/2007
Sombreval






1.Posté par Athanasios D. le 29/04/2007 16:33
D'après A-C Emmerich, le serpent du Paradis dit à Eve que "si Adam et elle mangeaient de ce fruit de l'Arbre, ils deviendraient libres et ne seraient plus des esclaves, qu'ils connaîtraient la façon dont ils se multiplieraient. Adam et Eve avaient déjà reçu de Dieu l'ordre de se multiplier. Mais j'appris qu'ils ne connaissaient pas les desseins de Dieu à ce sujet, et que, s'ils les avaient sus et avaient néanmoins péché, la Rédemption eût été impossible. (...) Je vis que le fruit semblait s'ouvrir dans la main d'Adam qui parut y voir des images. C'était comme s'ils avaient révélation de ce qu'ils devaient ignorer. (...) Le péché ne se trouva pas accompli par le seul usage du fruit défendu ; ce fruit renferme en soi la faculté d'une reproduction tout arbitraire, reproduction dans l'ordre des sens, qui sépare de Dieu : il est le fruit de cet arbre qui plonge ses branches dans la terre pour se reproduire en poussant ainsi de nouveaux surgeons, ceux-ci se multipliant à leur tour de la même façon, même après la chute. (...) Apres la création d'Eve, Dieu avait accordé à Adam une bénédiction porteuse d'une faculté permettant à l'homme de se reproduire dans la sainteté et la pureté ; cette bénédiction fut retirée à Adam à cause de l'usage qu'il fit du fruit défendu, car je vis le Seigneur passer derrière Adam lorsque celui-ci quitta sa colline pour rejoindre Eve et lui retirer quelque chose : et il me sembla que le Salut du monde devait sortir de ce que Dieu avait repris à Adam."

Pour en savoir plus :
http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/CatherineEm/Alliance.html

Un livre édifiant !

Ath

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