La sainteté en couleurs (Nelly)

Mère Geneviève Gallois : exposition au Musée des Beaux-Arts de Rouen



La sainteté en couleurs (Nelly)
L'exposition qui se tient actuellement au Musée des Beaux Arts de Rouen est remarquable à plus d'un titre : elle est consacrée à Mère Geneviève Gallois, dont elle présente un grand nombre d'oeuvres inédites (il n'y a pratiquement que le Petit St Placide qui ait été largement diffusé) ; elle n'est que la septième ou la huitième consacrée à cette artiste importante. Il est d'autant plus remarquable de noter son étendue, le copieux catalogue de Noël Alexandre qui l'accompagne, et le fait qu'elle bénéficie d'un soutien du Ministère de la Culture, qui va jusqu'à la poser en bonne place sur son site web.

Mère Geneviève Gallois est née Marcelle Gallois dans une famille bourgeoise fort peu pieuse. Le père est sous-préfet ; et l'artiste se sent anticléricale par la force des choses. Elle fréquente les milieux artistiques de Paris où elle produit des toiles d'inspiration impressionniste, puis des dessins humoristiques. Ses sujets de prédilection sont les gens de la rue, les bourgeois aisés, les soldats mutilés au front (on est durant la Grande Guerre), et les religieux.
Le besoin de railler Dieu poussera Marcelle Gallois à fréquenter les bénédictines de la Rue Monsieur. La fréquentation de ce couvent était en vogue dans l'intelligentsia de l'époque. Là, elle s'y convertira et y rentrera en religion. Voilà ce qui arrive lorsqu'on se moque de Dieu.
La vie conventuelle connaîtra des débuts pénibles : postulante en 1917, elle attendra 1930 pour prononcer ses voeux ; son caractère que l'on devine entier et original lui vaudra certainement bien des conflits avec d'autres soeurs. Quoi qu'il en soit, elle persévère et persévèrera jusqu'à sa mort.
Elle continue de dessiner aussi, dans l'exil occitan imposé par un sursaut des lois anticléricales du début du siècle, puis dans le monastère provisoire de Meudon lors de l'avancée allemande, et finalement à l'abbaye de Vauhallan de 1951 à sa mort.
À Vauhallan, elle fait la connaissance d'un mécène, Paul Alexandre, qui découvre une de ses oeuvres par hasard, puis lui en commande d'autres. Avec la permission abbatiale, elle produira ainsi un grand cycle sur la vie conventuelle, un autre sur la messe (dessinés au dos de bordereaux de comptabilité, ô pauvreté !) ainsi que son célèbre « Petit St Placide », illustration humoristique de ce qu'aurait pu être la vie conventuelle du jeune disciple de St Benoît.
Elle s'adonne ensuite dans les dernières années de sa vie au vitrail et réalise celui de l'église du Petit Appeville, puis ceux mêmes de Vauhallan. Elle meurt quelques jours après avoir achevé ces derniers.

Mère Geneviève s'est adonnée à de nombreux genres artistiques au fil de sa vie ; les oeuvres de jeunesse sont des exercices d'impressionnisme que l'on peut rattacher à l'école de Toulouse-Lautrec ; quelques natures mortes, puis surtout des portraits. Le portrait, la figure humaine, restera toujours l'un des points saillants des oeuvres de Mère Geneviève.
Le point frappant de presque tous ces portraits, c'est l'expression intense des visages, les yeux grands ouverts. Cela se remarque dès les tableaux de grand-mères, et se poursuivra tout au long de l'oeuvre, dans les personnages des vitraux mais aussi, par exemple, dans les yeux des anges qui emmènent le petit St Placide au ciel. Ces yeux ouverts sont l'héritage des fresques romanes, telles celles que l'on peut encore deviner à Brioude, le signe que le personnage voit quelque chose que ne voient pas les autres, qu'il voit l'invisible. C'est peut-être également un rappel de l'être aux mille yeux mentionné dans l'Apocalypse. C'est le recyclage moderne d'un des signes antiques qu'on est en présence de Dieu. De façon très bénédictine, le sujet de Mère Geneviève « écoute » mais avec ses yeux.
Déjà dans sa période profane, Mère Geneviève s'intéresse à ce que peut dire un visage. Elle n'en masque pas les défauts ; ses autoportraits ne la présentent pas sous un jour douceâtre ; le portrait de ses parents, ou de son amie Emma Volant, ne les idéalise point. Les sujets de Mère Geneviève en acquièrent ainsi une présence remarquable pour des oeuvres de jeunesse. On dirait que ses grand-mères vont s'animer et sortir du tableau.

La phase des dessins humoristiques ou des scènes de rue voit son intérêt d'élargir, des visages aux gens. Là encore, rien n'est idéalisé ; les jeunes autour du bassin des tuileries semblent futiles, une gamine qui pleure est franchement laide. Les ménagères représentées sur quelques autres dessins ne sont pas épargnées, pas plus que ces trois provinciaux grimaçants, qui se disent entre eux « c'est drôle, ils n'ont pas les mêmes têtes qu'ici ». Et pour cause !
Le dessin humoristique va peu à peu faire la place au dessin religieux. L'artiste n'a plus du tout la même chose à dire qu'avant : elle parle de Dieu, de la vie conventuelle ou de sujets rattachés. Dieu s'est emparé d'elle.
On voit, de cette époque, des dessins de paysages, datant de l'exil dans le Tarn. Puis c'est le grand cycle sur la vie conventuelle.

La sainteté en couleurs (Nelly)
Constitué, paraît-il, de cent cinquante dessins et intitulé « la vie chez les captifs volontaires », ce cycle retrace sans ordre apparent des scènes de la vie de Mère Geneviève, ou d'autres moines bénédictins. Bien entendu, la vie liturgique y a une large part ; les offices sont illustrés par des citations d'eux-mêmes (l'hymne de Prime, le psaume 3 qui ouvre les Matines, l'hymne de Complies). Les thèmes évoqués ont des affinités thérésiennes : il n'est pas question ici d'une vue détaillée, agendas à l'appui, de ce qu'est la journée bénédictine, pas de plan du monastère, pas de citations de la Règle, pas de considération sur l'architecture de l'église ou des offices. Non, on parle du quotidien, et du quotidien seulement. Ce peut être le service de cuisine, le repassage, la récréation, les travaux au verger ; ou tout le quotidien dans l'église. Ou le réfectoire, où sont notés de façon amusée tous les bruits qui, malgré le silence, conspirent à couvrir la voix du lecteur. Ou la promenade, les permissions demandées dans le bureau abbatial.
Le quotidien est constitué de corvées, ne l'oublions pas. Après la lessive, dit un de ces dessins, « on repasse ». Et deux autres à la suite insistent : « on repasse », « on repasse » (ci-contre). Nul doute que Mère Geneviève devait trouver le temps long durant le repassage.
C'est ce mélange de corvées et de sublime, de gestes quotidiens spiritualisés, d'adhérence sans faille au devoir d'état qui est le centre de ce cycle et qui représente fidèlement, comme on l'a rarement fait autrement, ce qu'est réellement la vie conventuelle. Le cycle ne s'arrête pas au commentaire de guide pour abbayes cisterciennes ; il tente de plonger dans le mystère, de creuser cette coexistence, cette proximité de gestes triviaux (écosser les petits pois, faire la lessive) et surnaturels (la messe, l'office, l'obéissance). Il montre comment ceux-ci s'interpénètrent, comment le quatrième voeu des contemplatifs pourrait être le voeu de patience : la voix de la lectrice est couverte, au réfectoire, par le bruit des cuillers dans les assiettes ; l'escalier, après complies, retentit du vacarme des pas malgré les efforts de chacune ; quant aux poireaux ou aux haricots, les heures de labeur, de sueur et de fatigue qu'ils ont nécessité s'achèveront en dix minutes voraces au réfectoire, au cours desquelles ils disparaîtront tout entiers.
C'est cette sanctification du quotidien, de la vie cachée, du petit Nazareth thérésien qu'est le monastère, que donne à voir Mère Geneviève. C'est très juste, c'est très observé. Ce n'est peut être pas « l'effroyable quotidien » dont parlait Pie XI, mais c'est un quotidien sans distraction pour soulager l'âme, un quotidien qui s'imprime, et que l'on ne peut connaître si on ne l'a pas expérimenté.

Le cycle de la vie conventuelle sera poursuivi par un autre cycle portant sur la Messe. Ce sont des illustrations de passages de la messe, spécialement du Canon et dans une moindre mesure de l'offertoire. Quelques rares paroles, tirées du Missel, illustrent parfois les images. Peinte au début dans des tons bruns, bleu nuit et gris, comme « la vie conventuelle », la série incorpore ensuite des tons vifs, voire acides au milieu des couleurs sombres qui restent dominantes.

C'est la légèreté qui domine dans les marrons sculptés : à côté des têtes de moniale le jour de sa profession ou de père maître bénédictin, on retrouve « soeur Liquéfiée du Saint-Amour », carmélite, « Soeur Martyra », grande amatrice de mortifications, « Soeur Religiosa », toujours en prière.

Ces oeuvres seront prolongées ensuite par d'autres manifestations de la vie monastique et de la vie en Dieu. Les vitraux, dont nous savons qu'ils ont été la dernière occupation artistique de Mère Geneviève ; mais aussi quelques eaux-fortes illustrant le chemin de croix ; et surtout le Petit Saint Placide, qui est comme une version en bande dessinée du cycle sur la vie conventuelle. A raison d'une image par page, la vie imaginée du disciple de St Benoît nous est présentée : vocation, vie monastique, jusqu'à la mort (« in paradisum deducant te angeli » sont les derniers mots de l'ouvrage).
Oeuvre célèbre de Mère Geneviève, constamment rééditée, traduite en plusieurs langues et diffusée en Europe, le Petit St Placide est malheureusement absent de l'exposition ; il est néanmoins trouvable dans toutes les (bonnes) librairies et facile d'accès, tout en n'édulcorant en rien le message de l'artiste : « voici ce que nous sommes ».

Au fur et a mesure de sa vie de captive volontaire, l'art de Mère Geneviève s'épure. Non qu'il ait été chargé au début ; elle a toujours maîtrisé sa version propre de la ligne claire. La ligne reste la même mais l'image, ce qui est donné à voir, devient progressivement immobile. Les grands froissements de tissu que l'on peut imaginer lors de l'entrée dans l'église pour l'office, ou au moment des gloria patri, disparaissent ; il ne reste que quelques personnages, les yeux grand ouverts au milieu d'un décor stylisé au possible : c'est ainsi que l'esprit du vitrail rejoint la technique effective du vitrail. A défaut de montrer l'invisible, l'artiste montre l'homme qui est en prise avec l'invisible.
De l'ironie et du dégoût du monde, l'artiste est passé par une phase documentaire, puis par la mise en scène de l'extérieur de sa vie en Dieu, du centre de cette vie (la Messe). Présent tout au long de son oeuvre, le visage de l'homme, avec tout son potentiel d'expression, est pratiquement tout ce qui reste lors des dernières années, dans ces personnages de verre superposés dans les vitraux de Vauhallan ou du Petit Appeville. Ce sont les dernières images qui nous parviendront de cette grande et méconnue artiste sacrée du XXème siècle, qui a graduellement reconnu et révélé dans les visages de ses contemporains puis de ses soeurs la Sainte Face du Christ.

Mère Geneviève Gallois (1888-1964): le génie et le voile
Peintre et dessinateur, Marcelle Gallois quitta son registre satirique lorsque, convertie, elle entra chez les bénédictines en 1917. Son oeuvre inconnue du public comprend l'un des plus beaux cycles modernes consacrés à la vie monastique
Musée des Beaux-Arts de Rouen
Du 14/05/2004 au 23/08/2004
Horaires : 10h à 13h et 14h à 18h, tous les jours sauf mardi et jours fériés.

Un livre consacré à l'oeuvre de Mère Gallois

Source photos : Musée de Rouen, clichés : Catherine Lancien, Carole Loisel

26/07/2004
Nelly Achlaw

Tags : Monastère





1.Posté par petrequin françoise le 22/04/2008 19:20
J'ai vu juste une reproduction dans LA CROIX du 23 avril. C'est magnifique. Y aura t-il un ouvrage sur cette oeuvre de G Gallois? merci de me le signaler.

2.Posté par treps andré le 24/04/2008 19:32
même remarque que françoise petrequin sur la photo de la Croix et même question sur la publication de l'oeuvre de Gerùmaine Gallois. Merci andretreps@orange.fr

3.Posté par Sombreval le 24/04/2008 22:27
Désolé, je n'ai aucune information. Il s'agit d'un compte rendu d'une exposition qui s'est tenue il y a quelques années. J'ignore si un ouvrage sur les œuvres de G Gallois est en prévision
Cordialement

4.Posté par bourmault le 24/05/2008 12:05
je suis allé hier visiter, contempler, communier avec les oeuvres de SOEUR GENEVIEVE GALLOIS à port royal des champs dans les yvelines prés de chevreuse ...
Je suis resté marqué par la force l'expression l'humour, l'ironie le talent... de l'artiste
L'affiche de l'expo montre deux religieuses qui gravissent un escalier Le dessin montre une des deux soeurs presque à l'horizontal lourde de fatigue le dos courbé par les ans.c'est superbe trés évocateur trés humain.... C
rien vu d'aussi fort d'aussi beau depuis longtemps
fiat lux


Retrouvez dans cette rubrique :
< >
Recherche



BIBLIOTHÈQUE NUMÉRIQUE