Mgr Rouet et la liturgie



Dans un texte, le sacrement du mariage, Mgr Rouet insiste sur la dimension de l'amour mais ses considérations aboutissent à une condamnation du "fétichisme des rites". Il use d'une expression que je vais incontinent placer dans mon glosaire : "je respecte le rite, donc j'existe" (ahahaaa) : le cogito saintpiediste. il fallait l'inventer. Voici ce passage hilarant :
"... parce qu'on a privatisé l'amour à ce point, nous nous sommes enfermés dans un dilemme sans issue :

• Ou bien, l'amour sera le sentiment que je répands généreusement, dans un océan surabondant, dégoulinant de sentimentalité, sur l'humanité toute entière. Sous prétexte d'amour, je tolère tout, je supporte tout, j'accepte tout. Mais cet amour qui n'a pas de contenu, qui se veut d'autant plus généreux, universel, large et sans frontière, n'a pas de consistance. Il n'a rien de spécifique à donner, s'il peut être aussi large. Cet amour-là, en arrive à supporter l'insupportable, à tolérer l'intolérable, à considérer comme digne d'amour même ce qui va détruire, humilier et avilir l'homme.

Ce n'est pas aimer, que de laisser faire des circuits financiers qui écrasent des hommes. Ce n'est pas aimer, comme dans d'autres cultures de laisser faire des excisions qui mutilent les femmes. Ce n'est pas aimer, que de laisser s'exprimer des pensées qui blessent la dignité de l'homme. L'amour dit non, s'il veut un jour dire oui ; sinon, il n'a pas de contenu et aimer ne veut rien dire, sauf éprouver, vaguement, dans son petit coeur un battement un peu plus palpitant.

Cette médiocrité nous menace aujourd'hui, au nom d'idées qui se veulent généreuses et qui sont en fait inconsistantes. L'amour est condamné à voguer, tel une méduse, au gré des modes et des vagues. On va pétitionner pour le sud-est et le lendemain pour le nord-ouest... on va défendre des causes qu'on ne connaît pas, mais parce qu'on est généreux on se fait plaisir à soi en défendant parfois l'indéfendable.

Cet amour qui se veut d'autant plus large devient, en fait, l'affirmation de soi, une extension de sa propre personne, de son désir illimité d'être un saint-bernard universel, car ce qui n'a pas de limite n'existe pas.

Cet amour représente la preuve la plus manifeste d'un égocentrisme terrifiant, c'est bien pourquoi les gens n'en veulent pas. Une telle générosité se voit toujours renvoyée chez elle et elle ne comprend pas le manque de reconnaissance qu'elle n'a pas pu ne pas susciter. Elle est un océan dans lequel on se noie, une mère abusive. Ce n'est pas aimer que de traiter les hommes en objets anonymes d'un amour indifférencié.
• A l'inverse, et en réaction en grande partie contre cette première position, on trouve un certain fétichisme de l'amour.

Je prends le mot fétichisme dans son sens technique, psychanalytique, précis : c'est le fait de croire que si on s'attache à un détail, on aime toute la personne, si on s'excite sur une partie minuscule d'une histoire, on aime la totalité de histoire.

Je me souviens avec compassion, dans un autre diocèse, d'un jeune prêtre. Il était marqué (c'est un scrupule psychologique terrifiant) par le fétichisme de la liturgie. Affecté, faute de mieux, à une grande collégiale, il ne pouvait célébrer qu'à condition de vêtir ses propres ornements qui dataient de 1932 ; c'était l'année où était mort son grand oncle, dont il avait hérité les ornements. Ce qui pose déjà un certain nombre de problèmes. Il avait appris à placer ses doigts je ne sais trop comment, je n'ai jamais réussi à avoir la même souplesse des pouces... Il célébrait avec un pointillisme de la ritualité qui est le contraire de la liturgie. Mais il aimait ce formalisme sécurisant. Il prenait l'expression extérieure pour le signe d'un amour intérieur. Il se desséchait sur pied. A la fin il n'avait plus que deux solutions :
- arrêter de célébrer en public, il ne pouvait continuer tant il ignorait l'assistance, enfermé dans son unique plaisir,
- ou la dépression nerveuse.
Il a choisi la dépression nerveuse. C'est une histoire terrible.

Ainsi, dans un ménage, l’attachement maniaque à un détail peut remplacer l’élan novateur de l’amour. Nous pouvons remplacer l'amour par les gestes de l'amour. Nous pouvons (de la même façon que ce pauvre jeune prêtre qui n'est pas encore tiré d'affaire), remplacer l'amour qui doit imprégner nos célébrations par le fétichisme des rites.

Même dans un ménage, même dans l'amour d'un pays, nous pouvons remplacer une générosité par les garanties que nous nous donnons de satisfaire aux lois qui remplacent l'amour.

Nous oscillons entre une largeur de vue, qui est prête à appeler amour n'importe quel sentiment entre n'importe qui et sous n'importe quelle condition, ce qui est une déchéance non contrôlée de l'amour ; et la sècheresse d’appeler amour un respect de vétilles qui ne sont qu'étroitesse d'esprit destinée à nous préserver.

Dans les deux cas, c'est le même problème. Ces deux extrêmes ne sont jamais que la manière de s'affirmer soi-même par une surabondance sentimentale ou par une rigueur que le sujet s'impose. Je respecte le rite, donc j'existe ! Le moment où, apparemment, ce jeune prêtre s'effaçait derrière les rites de la liturgie, sa manière de les imposer aux fidèles, sa manière de se les imposer, faisait qu'il était auto-victimaire d'un scrupule à aimer. Mais pour aimer il faut d'abord exister dans le don de soi. Donc s’accepter soi-même..."




16/10/2004
Sombreval

Tags : Liturgie





1.Posté par Michel camus le 26/03/2007 22:12
qui veut noyer son chien...

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