Quelques notes sur Genèse I et II



Quelques notes sur Genèse I et II
…plantaverat autem Dominus Deus paradisum voluptatis a principio in quo posuit hominem quem formaverat (Gen 8-20)

Beaucoup d’exégètes se sont interrogés sur le fait que Dieu porte deux noms différents dans les chapitres I et II de la Genèse. La plupart se contentent d’observer que le récit biblique résulte de la juxtaposition de deux versions différentes, l’une «élohiste» et l’autre «jéhoviste». Mais, enfermés dans une lecture naturaliste, ils ne peuvent discerner le message que recèlent ces fragments apparemment divergents. Ce message a trait aux rapports de l’homme et de l’univers physique (Chapitre 1) et de l’homme par rapport à lui-même, l’homme considéré dans son intériorité, dans le secret de sa propre nature, de sa «noblesse théomorphe» (chapitre 2). Pour Jean Borella, le Genèse dévoile une double perspective cosmogonique. La première est qualifiée de macrocosmique, la seconde de microcosmique. Dans une étude très profonde à laquelle je vous renvoie, il fait cette observation : «Elohim et YHWH désignent le même et seul Dieu, mais pas de la même façon. Elohim c’est le Dieu créateur de l’univers, des anges aux atomes. YHWH c’est le nom "personnel" de Dieu, celui dans lequel Dieu communique, autant qu’il est possible, le secret de son essence. Ce Nom "personnel" ne peut être révélé qu’à une personne ; c’est pourquoi YHWH est le Nom du Dieu de l’homme, de celui que les Pères nomment le microcosme par rapport au macrocosme. Là est, croyons-nous, la clef des différences que révèlent les deux chapitres». L’homme est à la fois le petit monde (minor mundus) dans le grand monde (maior mundus), mais, surtout, celui qui par le mystère de sa personne spirituelle transcende le monde entier. L’être prévaut sur le milieu, le microcosme englobe et récapitule le macrocosme, tels sont les enseignements fondamentaux du chapitre II (voir mon essai sur la Réversibilité où le thème de l'homme-microcosme est abondamment commenté) .

Comme Jean Borella le précise par la suite la connexion essentielle de l’homme et de l’univers, du «milieu» avec l’ «être» qui en est le centre unificateur, le régulateur permet d’expliquer que la chute originelle ait entraîné l’univers terrestre dans la déchéance. La doctrine de l’homme-microcosme dont j'ai analysé les implications dans des articles précédents a ses racines dans la Genèse. Elle a été incorporée au christianisme dès les premiers siècles par les Pères de l’Eglise. Némesius (fin du IVe siècle) dans de De natura hominis, inaugura la série des traités présentant l’homme comme un microcosme. Pour Théodore de Mopsueste, Adam est «le monde en raccourci, le trait d’union entre la création, visible et l’invisible, le lien et le nœud central de toutes choses, le point central où tout converge» (Questiones in Genesim). L’homme est l’enceinte de la création, la synthèse «résomptive» de l’univers visible. Comme le souligne le père Boulgakov, «la position centrale de l’homme dans le monde n’a pas été modifiée par la Chute…s’il est dit du Paradis que l’homme y avait été placé pour "le cultiver et le garder" (Gen 2-15), l’homme est chassé de l’Eden pour "cultiver la terre d’où il avait été pris" (Gen 3-23). Ici la terre, n’est pas entendue seulement comme le labour, la source de nourriture, mais en général comme la terre première dont Dieu avait fait le corps humain».
Cette terre, c’est l’adâmah d’où ont été tirés l’homme, les plantes et les animaux. L’hébreu, rappelons-le, distingue l’enclos paradisiaque (Gan) de la terre que l’Adam postlapsaire (d’après la chute) doit «cultiver», l’adâmah. Ces deux termes hebreux expriment deux éons, deux états de la création. L’adâmah, note Jean Borella, «accède à sa plus haute perfection en recevant la forme paradisiaque, le jardin (gan en Hébreux) que Dieu "plante" en Eden, où à l’"Orient", ou "au commencement" (a principio), et qui évoque l’idée d’une enceinte, d’un lieu clos établi au sein d’un espace plus vaste». Le récit biblique présente le Jardin d’Eden comme une sorte d’enclos, séparé du reste du monde naturel et que Dieu a spécialement planté pour y placer l’homme (Gen III, 8).

Jean Borella nous propose une belle méditation sur ce «a principio» utilisé dans la Vulgate pour traduire le terme Hébreu mikedem («vers l’Orient»)…Il est d’ailleurs à noter que le Targum d’Onkelos traduit mikedem par kodem («qui était antérieure») : la racine hébraïque de kdm peut signifier soit «en avant» (l'orient est dit en avant car le soleil se lève à l'est) soit «avant» (kodem)…Selon Borella, « le paradis est la terre originelle de l’homme originel, tels que Dieu les a voulus, l’un et l’autre, c’est-à-dire conformes au modèle qu’Il en a conçu dans son intelligence créatrice. C’est pourquoi ce paradis est situé "à l’Orient". Il s’agit évidemment beaucoup plus d’une situation ontologique que d’une situation géographique (mais l’une n’exclut pas l’autre), car "Orient" signifie précisément : lieu de la naissance, de la sortie, du jaillissement, de l’élévation, en latin comme en grec, ce dont témoigne aussi la parenté étymologique qui unit en français "Origine" et "Orient". Au reste, saint Jérôme ne dit pas, dans sa version, que le paradis a été planté in Principio (=dans le Principe) ce qui pourrait désigner son modèle divin, mais : a principio, ce qui signifie plutôt : "à l’origine" (de la création du monde humain). Il s’agit donc bien d’un monde primordial, situé au premier moment, au premier stade de son jaillissement créateur. Monde terrestre, sans aucun doute, mais dans un état de perfection cosmologique pour nous inconnu ; état que nous pourrions qualifier de "quintessentiel"…Par conséquent, monde quasi-céleste quand il est vu à partir de notre terre déchue, et défini par des propriétés physiques très différentes de celles que nous expérimentons aujourd’hui. C’est pourquoi, disons-le en passant, nous n’éprouvons aucune difficulté à considérer Adam et Eve, dans les passages que nous méditons, comme deux personnes réelles, et non comme des noms génériques désignant l’espèce humaine, ce que le texte, nous semble-t-il, impose, et ce qu’implique la donnée dogmatique du péché originel comme d’un péché personnel d’Adam et Eve, transmis par voie de génération […]». Il conclut par cette affirmation qui risque d'irriter les tenants de l'évolutionnisme darwinien : «Adam et Eve furent des êtres primordiaux dont la réalité intérieure est, pour nous, à peine imaginable, et dont la forme extérieure ne peut être que pressentie à partir de notre propre configuration – non qu’elle en fût radicalement différente, mais parce que la réalité d’une forme est inséparable de son expressivité».
Le paradis n’était possible qu’en vertu de la perfection originelle de l’homme, de son ouverture et de sa soumission au Très-Haut, de son observance de la Lex primordialis, seule susceptible de le garantir de la connaissance mortifère des états inférieurs, «infra-paradisiaques». Le Paradis était l’extension et comme l’irradiation lumineuse de l’Adam prélapsaire. Il représentait, selon le père Boulgakov, «l’anticipation de ce qui était caché dans les profondeurs de tout l’être naturel», c'est-à-dire en quelque sorte «son eschatologie». En effet, ajoute le théologien orthodoxe, «la figure du Paradis nouveau, tracée au chapitre XXII de l’Apocalypse, avec un fleuve et l’arbre de la vie, comprend ce qu’il y avait dans le Jardin d’Eden». Après la chute, il devient inaccessible, il est comme ôté de la terre et «passe sur le plan céleste des prototypes du monde, connu des esprits incorporels qui le gardent et qui le servent ; et ce paradis fermé à l’homme est protégé par le glaise enflammé du chérubin, jusqu’au temps fixé (cf. Gen 3-24)» (Boulgakov). Adam perd le Jardin et retrouve l’adâmah, maudite à cause de lui (rom, 8-20), et dont «la chute originelle a actualisé toutes les virtualités négatives» (Borella), cette terre rongée par l’entropie, qui «fait retentir les gémissements de l’être "en évolution", avec sa lutte pour la vie, le "matérialisme économique" et la mort » (Boulgakov).


23/08/2006
Sombreval





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