Science is the new rock'n'roll (Le Projet Fedorov, épisode 10)

«C’est marrant que personne n’ait jamais réussi à ne pas mourir» (Patrick Besson, «Pense-bête», 9, Juin 2015)



Science is the new rock'n'roll (Le Projet Fedorov, épisode 10)
Ils ont prévu de tout détruire. Pour la première fois ils vont lutter contre le nihilisme avec des armes nihilistes. Nicolas S et Bertrand D se sont maintenant accoutumés aux fantaisies de la science rock-and-roll, née avec la convergence des technologies à l’orée du 21ème siècle. La conquête de l’espace et ses vaisseaux transporteurs, dont des ingénieurs russes et américains ont réussi à inverser la masse pour franchir la barrière luminique, les essais de résurrection immanente, l’émergence d’humanoïdes, tout concourt à faire de la science la voie maitresse de l’expansion de l’homme, de la réalité augmentée. C’est à peine s’ils s’étonnent encore de la ferveur médiatique que suscitent les concours de bricolage du vivant, véritables joutes en biologie qui opposent des jeunes candidats-chercheurs sélectionnés pour leur inventivité. Ce sont des fils de leur époque, qui ont connu la naissance du Projet Fedorov. Rien ne leur répugnerait autant que d’être accusés de néo-luddisme, rangés parmi les saboteurs écolos-fanatiques. Alors pourquoi cette irruption dans ce Centre de recherches, antenne de la Life Extension Corporation ? Pourquoi deux de leurs compagnons commencent-ils à disséminer des charges C4 dans différents endroits du laboratoire, tandis qu’un autre fait évacuer le personnel apeuré ? Pourquoi cette résolution froide de Nicolas S ?
Il est entré dans le bloc et se tient maintenant face aux deux individus qui dirigent les activités du Centre. Le premier est un neurochirurgien, le second, son assistant-ingénieur, fait office de mind-uploader. Leur technique chirurgicale consiste à associer des cellules neuronales humaines à des dispositifs artificiels.

- Qui êtes-vous, que voulez-vous à la fin ? s’exclame le jeune nano-technicien, la voix empreinte de mépris.
- Nous sommes là pour vous faire partir. Nous ne vous laissons pas d’autre choix que de quitter le bâtiment avec les autres membres du personnel. Nous allons nous occuper de votre… comment dire ? votre patient ?
- Mais savez-vous à quelle organisation vous osez vous attaquer ?
- Oui, elle est des plus puissantes, nous le savons. C’est pourquoi nous souhaitons qu’elle comprenne bien le message, l’avertissement solennel.
- Pauvres fous ! A partir de cet instant vous ne serez plus en sécurité nulle part. Est-ce que vous vous rendez bien compte ? Le bâtiment est truffé de nano-caméras et de capteurs. Vos visages sont déjà scannés, votre voix a été numérisée, vos empreintes décryptées. Il suffira d’une seule donnée pour établir votre identité. Partez pendant qu’il est encore temps.

Nicolas S se tait. Il sait la menace qu’il fait peser sur sa Confrérie. C’est une véritable traque qu’ils vont devoir affronter. La Life Extension Corporation, depuis la promulgation du droit à l’immortalité, érigé en droit universel, n’a cessé d’étendre ses ramifications. Elle rassemble un magma de sociétés spécialisées dans l’ingénierie de la mort, et brasse des milliards pour mener à bien ses projets. Elle ne propose pas seulement à l’homme de repousser les limites de l’âge, mais aussi de devenir a-mortel. Éterniser sa vie, ressusciter hic et nunc, telles sont les grandioses perspectives qu’elle lui promet de réaliser. La compagnie met à la disposition de ses clients un large panel de techniques : de la plus rudimentaire, la cryogénisation, à la plus évoluée, l’uploading mémories pour les corps déjà ressuscités. Comme le corps-copie de Megan Garner, qui a voulu s’immortaliser par le truchement de la jeune femme sans nom, conçue comme artefact reproductible. Ce corps qui est celui de Laura, ce corps qui lui appartient et par lequel elle signifie sa présence au monde. Nicolas S sait qu’il s’expose à la mort en voulant contrecarrer les projets de cette compagnie toute-puissante. Mais il doit l’accepter car, avec ses compagnons, il a pour mission de sauvegarder ce qu’il y a de plus fragile et de plus précieux à la fois, ce que l’homme moderne a choisi de répudier, cet élément sacré que les Grecs et les Chrétiens ont toujours reconnu dans l’être individuel. L’individualité est intangibilis lui avaient enseigné ses maîtres du Vatican. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que «chaque être créé a un sens qui lui est propre» selon les mots de sainte Edith Stein, dont il a toujours gardé souvenance. Ce sens correspond à son idée, à son thème, à son image sophianique qui ne peut aucunement se répéter : il ne peut y avoir de jumeaux ontologiques. Megan Garner a déjà suivi sa trajectoire. Laura suivra la sienne, dans la liberté, cette liberté de créature qui fait de l’homme l’agent responsable des destinées du Cosmos.

…. Un silence de mort règne maintenant dans le Centre. Les deux hommes sont conduits à l’extérieur, sous la garde des hommes-singes. Nicolas S est seul. Il s’apprête à enclencher le minuteur. Dans dix minutes tout aura explosé. La traque alors s’organisera et, pour échapper aux représailles, ils devront se disperser, puis vivre quelque temps cachés en camouflant leur identité. La Confrérie sera dissoute provisoirement. Bertrand D trouvera refuge dans un monastère bénédictin, tandis que ses autres compagnons rejoindront une communauté missionnaire en Afrique ou en Asie. Nicolas S, quant à lui, restera à découvert à Nice jusqu’à ce que Laura soit guérie. Le compte à rebours vient de commencer.


11/10/2015
Sombreval





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