Sexualité et mariage (Le sens de la création, Berdiaev)



«La virginité est une énergie sexuelle positive», «la vie sexuelle est possible sans acte sexuel, et elle peut atteindre ainsi à un très haut degré. L'acte sexuel, la fonction sexuelle sont surmontables mais la sexualité ne se surmonte pas» Ces paradoxes énoncés par Nicolas Berdiaev éclairent les aspects métaphysiques de la sexualité. Le philosophe russe conçoit la sexualité non pas comme une fonction spécifique et différenciée de l'homme mais comme une énergie qui l'anime et le porte: «La sexualité ne peut se rattacher à une part quelconque de l'individu : elle l'intéresse tout entier. Elle n'est pas un aspect de l'homme, mais elle le saisit et le définit dans son intégralité. Vers quelque voie que l'homme se dirige, l'énergie sexuelle le suit et imprime sa marque sur chacune de ses actions» (Le Sens de la Création, chapitre8, La création et la sexualité) .

Berdiaev s'inscrit en faux contre la conception classique qui présente le péché comme une injure à l'honneur de Dieu. Il récuse la notion d' «offense», de «réparation» dont les théologiens anti-modernistes font grand cas. Il aborde la question du péché sexuel d'un point de vue anthropologique. La sexualité génératrice est un péché qui blesse d'abord la nature humaine, qui détruit son unité. Elle «représente la tentative extrême de deux courants partis de pôles contraires pour se rejoindre et s'absorber l'un dans l'autre et hors d'eux mêmes. Arriveront-ils à se confondre ? Certainement non. Une chose déjà témoigne contre l'acte sexuel, c'est qu'il porte en lui-même sa propre profanation, le germe de cette désagrégation, de cette débauche qui est justement l'opposé du principe de l'unité. L'union par l'acte sexuel n'est qu'illusoire et cette illusion doit se payer... La désunion après l'acte sexuel est plus complète qu'avant. Une sorte d'éloignement maladif contamine bientôt l'extase de l'étreinte. L'acte sexuel selon son acception mystique devrait être éternel, et l'union qu'il incarne s'approfondir indéfiniment. Deux chairs devraient se fondre en une chair unique, se pénétrer l'une dans l'autre jusqu'à l'extrême. Au lieu de cela, s'accomplit l'acte d'une union passagère, très temporaire et superficielle. La réunion passagère se paie d'une profonde division... La réunion des sexes devrait être éternelle, ne pas pouvoir s'abréger, ni pouvoir s'accompagner d'un retour en arrière ; elle devrait se communiquer et s'étendre à toute la prison où est enfermée la créature, être profonde et infinie. Au lieu de cela, l'acte sexuel dans l'ordre de la nature mène l'homme sous la puissance de l'infini absurde du courant sexuel, qui ne connaît pas d'assouvissement et ne prévoit pas de fin». Plus loin Berdiaev développe des vues profondes sur la déchéance enclose dans l'acte sexuel : «Dans la profondeur même de l'acte sexuel, de l'union sexuelle, se cache une tristesse mortelle. Dans la vie génératrice du sexe se dissimule le pressentiment de la mort... Et ce poison mortel enfermé dans la vie sexuelle a été ressenti de tout temps comme un péché. L'acte sexuel comporte toujours la tristesse des espérances englouties de la personnalité, le passage de l'éternel au temporaire » (ibid). Il convient de lui opposer la virginité, la pureté qui n'est pas «la négation de la sexualité, - elle est seulement la sauvegarde de l'unité de l'être, de la concentration de l'énergie sexuelle à travers l'intégralité de l'essence humaine».

Pour les croyants, le mariage chrétien est pur du péché : «L'amour en lui même écrit Raïssa Maritain n'est pas coupable, ne peut être coupable... Le péché est seulement dans l'usage de la chair hors du mariage,-et cela à cause de l'éducation de l'homme spirituel» (Journal de Raïssa). Le philosophe russe, dans le chapitre 9 de son ouvrage, s'attaque à la conception chrétienne du mariage et de la famille. Stanislas Fumet, qui a écrit un beau texte sur le philosophe, remarque que «par fidélité à la divine liberté, Berdiaev est un esprit qui refuse la maîtresse facile qui s'offre à nous sous les formes communes de la pourvoyeuse de sécurité». De là sa condamnation de la famille qui lui apparaît comme un compromis avec le monde ( il est d'ailleurs intéressant de constater que dans notre société dite «hédoniste» le couple, le mariage et la famille restent des Valeurs, des Repères et se construisent en dehors de toute référence chrétienne). Dans le mariage chrétien la fornication même participe du sublime car la sexualité pratiquée est ordonnée à la Vie. Pourtant il faut se garder de croire comme le rappelle Berdiaev que «l'acte sexuel, en quelque lieu et par qui fût-il accompli, ne l'est jamais que dans le but vertueux de propager l'espèce. Il est accompli aveuglément, dans la passion élémentaire et en vue d'acquérir par soi-même une satisfaction du reste illusoire... La famille, religieusement, moralement et socialement, justifie les tares de la vie sexuelle par la conception des enfants, et elle témoigne tout entière pour cette conception. L'idéologie familiale déclare donc juste et valable l'union de l'homme et de la femme accomplie dans l'acte sexuel. La famille se manifeste comme une des formes les plus basses de l'union des sexes, comme une acceptation que le péché sexuel ne soit pas vaincu... Le christianisme sait parfaitement que les hommes naissent dans le péché, que l'union des sexes, dans la catégorie naturelle de l'espèce, est un péché, mais il veut atténuer, neutraliser le péché, sous les couleurs de l'obéissance et du conformisme. La famille légale n'incarne pas la création de liens nouveaux entre les êtres, d'une vie nouvelle, elle est la soumission au monde et à son fardeau. Il est extraordinaire que le christianisme se montre enclin à l'enthousiasme envers le péché de l'acte sexuel et le péché de l'organisation économique, c'est à dire envers tout ce qui dans la famille appartient à ce «monde », marque sa soumission à ce «monde». Faites des enfants par l'acte sexuel et installez-les dans une économie bien constituée : voilà le thème de la famille chrétienne.. L'utilitarisme économique ne pénètre pas seulement l'idéologie positivo-sociale de la famille, mais aussi son idéologie chrétienne et morale. La famille, comme le gouvernement, n'est pas un phénomène spirituel, elle n'est pas dans l'Esprit. Le mystère du mariage ne s'est pas révélé dans le christianisme... » (Le sens de la création, ch 9, La création et l'amour , Le mariage et la famille).

27/11/2002
Sombreval





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