Fonds Frank-Duquesne
LE MYSTÈRE DU COUPLE CHRÉTIEN, Revue Construire, Louvain, mars-avril 1952.

Les aventuriers de l’esprit

Depuis la généralisation de l'instruction et l'essor de l'imprimé, l’exercice de la pensée semble, à première vue, s'être répandu largement. Autrefois, seule pouvait y prétendre une élite qui avait ses disciplines, ses habitudes, son code de l'honneur. Aujourd'hui, tout pense, écrit, défend des opinions. Combien peu, cependant, travaillent à penser justement, réfléchissent longuement, approfondissent le sens de toutes choses et nuancent leurs avis. On vit tellement vite, on court si souvent, que le bagage le plus léger paraît encore trop lourd : pensées toutes faites reçues d'autrui, convictions glanées dans le journal du matin, lectures hâtives, réactions instinctives. On mène une existence artificielle, on ne vit plus par soi-même. On a même perdu le respect de ceux qui s'appliquent encore à bien penser, se consument en des études solitaires et s'acharnent à préserver l'exercice de la réflexion des atteintes d'une époque de facilité et de médiocrité.

A leur manière, ce sont des ascètes. Ces véritables intellectuels maintiennent une tradition, car ils continuent à entourer leur effort de pensée de ces rigueurs et de ces apparats dont le journalisme nous a appris à nous passer. Ils souffrent mille morts pour conduire leurs recherches à un point extrême de finesse ; ils se condamnent souvent à une vie matérielle difficile, et, en échange des services qu'ils rendent ainsi à la société, ils ne reçoivent que mépris, ignorance ou méconnaissance même de leurs pairs. Situation ingrate ! Leur tour d'ivoire n'a plus sa place dans le décor de notre temps, consacré tout entier au rendement, à l'efficacité, à l'engagement. Encore un peu, on leur reprocherait de disposer de loisirs, de perdre leur temps, de retarder !

Quand l'un de ces grands aventuriers de l'esprit, épris de vérité et de beauté, a la faiblesse d'envoyer, comme d'une lointaine planète, aux habitants de la terre, le résultat de ses veilles et de ses contemplations sereines, sous la forme d'un copieux volume, les journalistes, et les plumitifs s’y précipitent pour y flairer des tendances politiques peu recevables, en tirer des conclusions abusives ou détacher en médaillons certaines phrases isolées de leur contexte. Non, vraiment, la recherche philosophique ou scientifique, surtout sous ses aspects les plus désintéressés, les plus « purs », n'est point un sort enviable, surtout en ce pays ! Ne le conseillez pas à vos enfants, si vous convoitez pour eux la réussite matérielle. Les joies de l'esprit sont sévères et elles se portent assez mal en notre monde voué à la matière.

En intitulant ces lignes Les aventuriers de l'esprit, nous ne faisons que reprendre l'expression dont s'était servi en 1948 le célèbre filleul de Léon Bloy, Pier van der Meer de Walcheren, pour caractériser l'œuvre, précisément, d'un écrivain dont nous allons tenter d'analyser ici le dernier livre. Rendant compte de son premier ouvrage, Cosmos et Gloire, P. van der Meer débutait ainsi : «Dans ce monde de la médiocrité, que Dieu semble abandonner à lui-même, et qui dérive vers le néant, il est encore de grandioses et révolutionnaires aventures de l'esprit. C'est l'expérience qui vient de m'être donnée, en lisant un livre étrange, extraordinaire, écrit, ou plutôt éjecté, avec une irrésistible puissance d'impulsion, par un écrivain qui nous apparaît plutôt comme un visionnaire et, insistons-y, un authentique aventurier de l'esprit».

Création et Procréation

Le triste sort dont nous parlions plus haut est, en effet, exactement celui de M. Frank-Duquesne qui, après avoir publié Cosmos et Gloire, 150 pages dans le Satan des Etudes Carmélitaines, puis Le Dieu vivant de la Bible et Ce qui t'attend après ta mort, nous donne, ces jours-ci, un grand ouvrage : Création et Procréation, où il essaie de dégager, à partir de l'Écriture Sainte, une métaphysique, une théologie et une mystique du couple humain.

Mettons tout de suite en garde les lecteurs des Digest contre la tentation qui pourrait les effleurer d'emporter ce savant ouvrage : il n'est point pour eux, il ne contient aucune nourriture prédigérée, il ne fait grâce d'aucune citation, d'aucune référence, il n'escamote aucune étape de la réflexion. L'auteur ne se fait pas le champion d'un système bien équilibré, bien huilé, présenté avec élégance, et dont la seule vue allèche déjà. Il construit véritablement, sous nos yeux, son idée du couple ; il en élucide le mystère profond, pas à pas, avançant, reculant, faisant un pas de côté, progressant, s'arrêtant, repartant... Un seul fil d'Ariane en cette nuit où il chemine lentement : la Parole de Dieu, lumière par excellence ; mais il s'agit de la comprendre, de la recevoir humblement en soi, de l'étudier dans tout son rayonnement et de la faire briller au grand jour dans toute sa richesse et sa fécondité.

Reconnaissons-le : cet ouvrage n'est point d'une lecture aisée. Albert Frank-Duquesne est un penseur profond, «un des penseurs les plus originaux — affirme Paul Claudel — les plus fermes et les plus érudits de son pays». Ce n'est point pour autant un styliste. Il a autre chose à faire qu'à polir des phrases. Il scrute le mystère : comment s'amuser alors à des jeux si vains ? Ce n'est point son affaire. Son affaire est de contempler et de traduire en mots imparfaits, en phrases approximatives, sa contemplation. Là est son seul souci, et sa méthode de travail est basée sur une probité intellectuelle complète : ne rien avancer avant de l'avoir vérifié, ne rien affirmer sans le contrôler au préalable, retourner aux sources, jusqu'à la langue originale, s'appuyer sur dix références là où d'autres se contenteraient d'une seule, souvent citée de seconde main. Au fond, cet audacieux, cet exégète intrépide, est un timide, plein d'humilité intellectuelle ; il a soif de preuves et il nous les donne toutes, sans opérer un tri, en vrac, d'autant plus que, souvent, il propose des thèses d'un non-conformisme tel- — du moins en apparence, car en fait il n'a plus d'une fois l'air révolutionnaire que parce qu'il est fidèle à la plus ancienne pensée de l'Église — qu'il éprouve le besoin de réfuter d'avance les flaireurs de nouveautés suspectes. De là, cet appareil d'érudition, qui peut produire à la longue une impression fatigante —bien qu'il soit courant en histoire des religions, par exemple (citons Frazer, Dumézil, Otto, Heiler, Eliade) — mais la recherche intellectuelle est à ce prix. De là, ce style chargé d'incidentes, de retours, de précautions, d'avances, de nuances, de réserves, de corrections, qui n'est point fait pour les cerveaux délicats, mais pour ceux qui aiment s'associer à la genèse de la pensée chez un auteur, et construire avec lui. De là encore, ce recours fréquent à une sémantique personnelle — c'est d'ailleurs une méthode traditionnelle des religions antiques, courante chez les Juifs contemporains de Notre-Seigneur et adoptée par de nombreux Pères de l'Église, consacrée par Jésus lui-même (dans les surnoms qu'Il donne à ses disciples, notamment) — ces néologismes, ces appels aux langues étrangères, destinés à exprimer des nuances infimes de la pensée, car notre homme honore le monde des idées au moins autant que celui des formes et des personnes. De là, enfin, par une sorte de jeu de compensation, ces afflux d'images, ces brusques irruptions de termes drus et violents, ces éclats de rire, ces grognements. Albert Frank-Duquesne ne nous livre pas, dans ses ouvrages, une pensée toute faite, mais en train de se faire, vivante, nerveuse : il «phosphore», comme disait Foch, tout haut, et il écrit de même. A proprement parler, son style n'est jamais «écrit», mais toujours la forme même, intérieure et spontanée, de sa méditation. On lui en fait reproche ; il ne peut donner que ce qu'il a ! Il a défini lui-même l'esprit de sa recherche, lorsqu'il a écrit dans sa préface : «Ne rien proposer de massif et de définitif, mais avancer des allusions et des suggestions. Provoquer les intelligences. Frayer des voies nouvelles, défricher des terres inconnues, ouvrir des perspectives»
De tels hommes ne sont-ils pas, justement parce qu'ils vont à contre-courant - Frank-Duquesne se glorifie d'être «anti-moderne» — et parce qu'ils s'emploient à maintenir des traditions d'école, plus nécessaires que jamais dans le monde d'aujourd'hui ? Quand on a la chance d'en compter autour de soi, on devrait les entourer d'une attention affectueuse, au lieu de les traiter avec désinvolture, voire avec hargne, comme cela s'est déjà vu, hélas !

Une doctrine de la sagesse

Pour comprendre l'intention profonde de cet ouvrage, il faut savoir que l'auteur, poursuivant durant les années terribles de la guerre sa méditation solitaire, et continuant jusque dans les camps de concentration allemands à scruter les abîmes de Dieu, a composé un «Traité de l'Église» d'environ 600 pages, entièrement fondé sur l'Ecriture, les Pères (surtout orientaux), et les théologiens byzantins et slaves. Ce traité, La Cité sur la Montagne, formait un volume trop copieux, et peut-être trop déconcertant pour les routines d'esprit propres à l'Occident latin, pour trouver un éditeur (mais cet «autre monde» intellectuel et spirituel intéresse, sitôt qu'il est révélé par des exotiques : Boulgakov, Berdiaev et bien d'autres sont des auteurs qui se «vendent bien»). Création et Procréation n'est qu'une partie de cet ouvrage primitif : celle que l'auteur consacrait à la sophiologie ou doctrine de la Sagesse divine et de ses reflets dans le monde ; subsidiairement, ayant à commenter les innombrables textes de la révélation, dans l'un et l'autre Testaments, où les rapports de Dieu et de son peuple, du Christ et de son Eglise, sont présentés comme les prototypes des relations conjugales entre individus, l'ouvrage traitait aussi de la complémentarité en amour. L'étude de la nature et de la personne humaines, de leur union, de ce qu'elles sont dans le monde intradivin des «idées», conduit naturellement à l'examen de ces deux aspects d'abord au sein même de Dieu, en qui se trouve le principe de toute manifestation créaturelle, puis dans l'archétype humain, soit au sein de la pensée divine, soit dans sa présence effective dans le monde, comme «pôle» masculin, en qui se trouve accentué l'aspect de personne, et comme «pôle» féminin, qui révèle surtout l'aspect de nature (mais, en Dieu, la «nature», en tant qu'elle est principe de participation des créatures à la «qualité», est appelée Sagesse). Enfin, l'étude de l'assimilation paulinienne du couple mari-femme au couple Christ-Eglise se situe dans les mêmes perspectives.

Ce n'est donc pas un essai de psychologie nuptiale, ni de morale conjugale, qu'a tenté Frank-Duquesne. C'est d'abord une initiation à la sophiologie de l'Orient chrétien, si peu connue chez nous, et qu'il y aurait danger, suivant l'auteur, à laisser acclimater dans une certaine élite occidentale, parce qu'elle est proposée toute mêlée d'éléments gnostiques et théosophiques (1), alors que Frank-Duquesne a pour dessein d'élaborer une sophiologie rigoureusement catholique. De bons juges, précisément au sein même du clergé catholique, ont insisté sur «l'importance capitale que prendra de plus en plus la perspective sophiologique», et quelques grands esprits ont déjà révélé aux Occidentaux l'apport de la pensée sophiologique ; parmi les catholiques, citons tels passages des Pères Congar, Lialine, Daniélou, von Balthasar, etc.. Frank-Duquesne a repris la question dans son ensemble et offre pour la première fois, dans cet ouvrage destiné aux lecteurs de langue française, une doctrine de la Sagesse, sur une base purement biblique et patristique. Sur ce point, ses recherches apporteront sans doute, comme l'a écrit un haut prélat français qui a préfacé un autre de ses livres (Ce qui t'attend après ta mort), «à la fois une rénovation de certains domaines théologiques et un puissant réconfort et stimulant pour les âmes».

Si la première partie de Création et Procréation est surtout consacrée aux relations des trois Personnes divines avec la nature (vue comme Sagesse), la seconde — plus accessible au lecteur moyen — étudie les rapports analogiques de ces relations intradivines : au sein de l'Homme complet, idéal, pensé par Dieu, d'abord, dans l'homo, l'archétype, l'être unique (Adam au chap. I de la Genèse), ensuite chez l'époux et l'épouse qui manifestent effectivement l'homo (Adam et Eve au chap. II de la Genèse). L'auteur écrit : «J'ai tenté de mettre en évidence les origines intratrinitaires de l'union de l'homme et de la femme, dans ses données ontologiques et dans toutes ses manifestations. Si le couple mari-femme reflète, au témoignage du Saint-Esprit, le couple Christ-Eglise, mon livre tend à montrer qu'à son tour, ce dernier reproduit à l'échelon médian, humano-divin, le rapport éternel et infini de Dieu et de sa Sagesse, rapport dans lequel je vois l'unique clef du seul problème métaphysique qui compte en dernière instance : l'existence des créatures, ce mystère». De telles déclarations indiquent clairement l'importance et la «difficulté» des questions traitées. Malgré l'extrême complexité de la pensée d'Albert Frank-Duquesne, nous osons pourtant convier à cette lecture l'honnête homme qui lit encore autre chose que de la littérature commercialisée, et dont l'intelligence ne se contente pas d'aliments prédigérés, car il sera largement récompensé de la peine qu'il y prendra, par les traits de lumière qui l'inonderont. «Fulgurant et rocailleux», ce sont les termes qui définissent le mieux ce genre d'ouvrages, où l'auteur se montre à la fois mosaïste et prophète, se servant à la fois de la pierre et de l'éclair.

« Un grand mystère »

Les pages les plus enrichissantes de ce volume seront certainement, pour la majorité des lecteurs, celles qui concernent le mystère du couple dans la perspective chrétienne (que l'Apôtre appelle «un grand Mystère»). Pour le non-initié que je suis, ce sont celles, en tout cas, qui m'ont apporté le plus de joie et de réconfort. Des nombreux ouvrages consacrés à l'amour et au mariage depuis vingt ans, aucun n'avait poussé la recherche si loin, aucun ne contenait une synthèse si belle, à la fois émouvante et exaltante, de l'amour humain. Et dire que tout cela se trouve, pour notre confusion, enfermé dans le trésor de l'Écriture Sainte ! Je ne pense pas seulement à telle page sur l'intime fusion réalisée par le mariage entre deux êtres — Louis Lavelle écrit à l'auteur : «Votre notion de la vie duelle a été une révélation pour moi» — à tel autre texte sur la splendeur sacrée de la chair, ou encore au parallèle brossé vivement entre la femme païenne et la chrétienne. C'est à l'ensemble, à la synthèse, que je me reporte. Aussi voudrais-je, pour en faire ressortir l'originalité stimulante et la beauté, la résumer en quelques propositions, en un schéma rapide qui, nécessairement, déflore une pensée toute bruissante d'intentions et d'aperçus nouveaux. Pour éviter toute confusion, rappelons d'abord que Création et Procréation se fonde sur une sorte de parti-pris métaphysique : délibérément, l'auteur se place dans une perspective ontologique — c'est son droit, dit-il — de sorte que la morale et la psychologie ne relèvent pas expressément de son propos, bien qu'il fasse en ces domaines quelques incursions. Mais son point de vue fondamental, son «angle de prise de vues», c'est dans les ultimes principes de l'être qu'il le cherche. Pour lui, l'union de l'homme et de la femme ne suscite pas une association temporaire, fortuite et occasionnelle, de deux êtres — comme le ferait une promenade en tandem ; elle crée un être nouveau, distinct des deux êtres particuliers qui le composent, une unité «duelle», le Christ dit : une seule chair (le mot «chair» désignant, dans le Nouveau Testament, l'individu vivant tout entier). Ainsi se forme ou se reforme l'homo primitif, qui reconstitue à sa manière l'Adam premier et reflète imparfaitement la Trinité (l'amour installé au foyer central s'irradiant en une progéniture). Il appartient, en effet, à l'humaine condition d'être duelle en la réalité des sexes et multiple en la succession des générations. Et il est de sa nature de progresser vers la vie divine par les moyens de son union — à moins que d'autres épousailles, mystiques celles-là, n'amènent un être à se consacrer entièrement à Dieu, au prix d'un renoncent à soi — union qui trouvera au ciel, peut-on penser, une sorte de sublimation et de consécration, au delà du sexe et de toute contingence créaturelle.

Dès ici-bas, c'est déjà par les moyens propres à cette union que l'homme et la femme, en tant qu'individus empiriques, trouvent leur épanouissement dans la réalisation de la nature humaine complète, de l'unité du couple. Leurs fonctions sont différentes, leurs apports le sont aussi : ils sont proprement indispensables l'un à l'autre, chacun se transformant en l'autre sans se perdre en lui. Il n'est donc pas question de conclure à l'égalité de leur nature, ni à l'infériorité ou à la supériorité de l'un sur l'autre. C'est la même nature qui s'exprime par deux aspects complémentaires. Mais ces aspects étant nettement hiérarchisés, on en arrive à poser en principe la priorité d'initiative masculine, symbolisée par la priorité chronologique de l'homme dans le récit de la Genèse (c'est le sens que Saint Paul donne à cette antériorité chronologique). Il ne s'agit pas, insistons-y, d'une supériorité de nature ou de valeur, mais d'être concret et de fonction, affirmée depuis vingt siècles par l'Ecriture et la Tradition : «Le mari est la tête de la femme, tout comme le Christ est la tête de l'Eglise, qui est son Corps et dont Il est le Sauveur. Or, de même que l'Eglise est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent l'être à leurs maris» (Saint Paul). Donc, de la même façon. Soumission du même ordre. Soumission amoureuse, si l'on peut dire. Et l'Apôtre continue : «Vous, maris, aimez vos femmes, tout comme le Christ a aimé l'Eglise et S'est livré Lui-même pour Elle. Celui qui aime sa femme, s'aime lui-même». Le mariage, par lequel la féminité s'affirme sous l'effet de la fécondation, et par lequel la masculinité reçoit, comme en surcroît, la beauté, la splendeur «inutile», les réserves de la nature humaine, ne symbolise pas seulement l'union du Christ et de l'Eglise : il la manifeste dans le cadre de l'espace et du temps... Il faut lire les fortes pages consacrées à ce sujet dans les chapitres intitulés : L'Epouse parle comme l'EpouxPureté et FéconditéLa Nature et la Femme, etc., beaucoup plus riches et plus nuancées que tout ce qu'on pourrait en dire dans un article de revue.

Comment terminer mieux cet article qu'en invitant Albert Frank-Duquesne à nous présenter ses idées essentielles en quelques lignes : «Dieu créa l'homme, rappelle-t-il d'abord, à son image, ou plutôt «comme son image, en vue de sa ressemblance», pour en faire son ambassadeur et médiateur auprès du monde sensible. Il le créa mâle et femelle, duel : existence et essence, puissance et acte, recueillement et parole. A son niveau, créaturel, analogiquement, l'homme est ainsi «sagesse» et «verbe», nature et personne... Or, il est le noyau, le centre gravitationnel de l'univers physique, par lui et en lui amené, soumis à Dieu, imprégné jusqu'à la moelle par la divine Sagesse, conforme à cette Sagesse et son expression visible. Or l'Eglise, c'est l'humanité pleinement perméable, identifiée, à la vue synthétique de Dieu sur elle, à la Sophie « récapitulatrice »; c'est aussi, en l'homme et par l'homme le divers uni, le monde devenu cosmos, univers. Par la Chute, la dualité de l'homme, qui s'achève en multiplicité, mais est un moyen de manifester ici-bas l'unité, est devenue un instrument de haine et de séparation : égoïsme à deux, désordres sexuels, etc. Mais, dès que la Sagesse reprend ses droits, que l'homme rentre dans l'orbite du plan divin, l'humanité devient, au moins en puissance, l'Eglise, et le couple la famille. Inchoativement, celle-ci est donc identique à celle-là, ecclesiola in Ecclesia. Et la famille, que l'homme forme par bonté, donnant libéralement la vie, est proprement un moyen de sanctification. C'est comme époux, en tant que mâle et femelle, et dans la mesure même où nous collaborons à l'œuvre créatrice, que nous reproduisons en nous l'image (statique) et nous évertuons vers la ressemblance (dynamique) de Dieu...»

On saisit bien ce que de telles vues peuvent avoir de grandiose ! Je ne sais ce que les spécialistes, qui apprécient les tendances autant que les thèses, les implications même rejetées par l'auteur autant que ses propres conceptions, diront de cette œuvre si déconcertante, à première vue, pour les esprits habitués à certaines disciplines intellectuelles et peu enclins à s'adapter à des catégories nouvelles. Pour moi, ce que je retiens surtout de ce livre, c'est que l'auteur de Création et Procréation a augmenté les raisons de mon espérance, en motivant solidement les siennes. J'estime que c'est beaucoup, s'il en va de même de ses autres lecteurs.

1) Il existe un courant sophiologique occidental, auquel ont participé plus ou moins Eckart, Suso, le Cardinal de Cuss, Guillaume Postel, Jacob Boehme, Van Helmont, les Père Hircin et Sabathier, Baader, Lamennais vieillissant ; mais il a fini par sentir le roussi...

GUY MARCHAL

Rédigé par Sombreval le Vendredi 13 Mai 2011 | {0} Commentaires

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