Étudiantes : reçues ou recalées ?

Cette scène vécue se déroule au mois de juin, dans une université française quelconque. Des étudiants attendent dans un long couloir que les résultats de leurs examens soient affichés. Le contingent d’étudiantes est particulièrement important car, en France, rappelons-le, l’Université c’est sept filles pour trois garçons. La plupart ne songeront pas à fonder un foyer avant la trentaine passée. L'Université en effet n'est qu'une étape vers l'émancipation totale et définitive, laquelle coïncide avec la destruction de la société. Je suis là et j’observe le spectacle… Cette scène devrait constituer le premier chapitre d’un roman intitulé "Regio dissimilitudinis"....



Étudiantes : reçues ou recalées ?
Aujourd’hui se joue l’avenir de jeunes gens. Les notes hélas tardent à être affichées. Ils sont venus en masse les étudiants qui attendent maintenant fébrilement qu’un responsable administratif vienne leur apporter la délivrance. On s’agglutine au fond de la pièce, là où selon les dernières rumeurs devrait être exposé l’objet de toutes les convoitises, la feuille de notes. L’attente devient insupportable pour tous ces étudiants grouillant dans cette salle lugubre devenue inaccessible pour tous ceux qui, relégués à l’arrière, dans le couloir, cherchent vainement à se frayer un chemin pour atteindre le mur à notes, ce véritable mur des lamentations. L’irritation se lit sur tous les visages. Pour détourner son esprit de toutes les conjectures effrayantes, on se réfugie dans les conversations les plus insipides. On essaie de soutirer autour de soi des aveux larmoyants, de dénicher tous ceux qui prophétisent leur échec pour s’assurer qu’on en aura pas le monopole si les événements prenaient un tour catastrophique. On se réjouit que tel ou tel certifie avoir échoué lamentablement. Il faut parfois prolonger l’interrogatoire tant certains aveux paraissent peu crédibles. Certains malicieux envisagent le pire, imaginent les scénarios les plus défavorables, créent autour de leur personne un contexte d’échec absolu de peur d’être pris au dépourvu si les notes ne s’avéraient pas conformes aux prévisions qu’ils s’étaient pourtant efforcés de ne pas rendre optimistes. De ceux là on s’en méfie non sans raison. Ils vous démontrent avec tout leur pouvoir de conviction que leur échec est inéluctable et puis brutalement ils défilent devant nous au comble de la joie pour nourrir notre effarement. Ils ont réussi au-delà de leurs espérances, très bien, on en prend note, mais on avait compté sur eux comme compagnons d’infortune, on escomptait que le spectacle de leur mine déconfite atténuât les effets d’une possible déconvenue. On ne sait alors ce qui est le plus insupportable : leur réussite mièvre ou le fait qu’ils se soient allègrement foutus de nous, que notre stupide crédulité les ait épargnés de l’angoisse insupportable où l’incertitude inexprimée aurait dû les plonger. Une grosse baffe, voilà ce qui devrait tenir lieu de félicitation.

Un individu sort du bureau administratif. C’est le préposé aux notes qui s’efforce de s’ouvrir une brèche dans la masse des étudiants frémissant d’impatience. La grande feuille qu’il tient à la main suscite dans leur esprit d’ultimes conjectures alarmantes. Plus personne n’est sûr de rien. L’agitation est à son comble. Le fonctionnaire, au bord de la rupture, bousculé de tous les côtés, exige le calme, joue des coudes, se retient pour ne pas éclater. Au comble de l’exaspération, inapte à maîtriser la foule bouillonnante, il ose une menace terrible. Il pourrait avoir l’audace de ne pas afficher la feuille de notes, seule susceptible pourtant de tempérer leur frénésie. La menace fait mouche. Ils sont tous acculés au silence. L’impatience furieuse ne se manifeste plus que par des gémissements pitoyables. On bouge à peine. On s’écarte pour laisser passer librement le préposé, on crie contre tous ceux qui s’obstinent à entraver sa marche... C’est l’affaire de quelques secondes... De la patience que diable ! Les filles du devant l’implorent de ne pas mettre sa menace à exécution. «Non monsieur, pas ça, s'il vous plaît». Snif, snif... L’individu, amadoué, scotche finalement la feuille vénérée et regagne doucement son bureau en goûtant le recueillement qui accompagne chacun de ses pas. Il ferme la porte derrière lui...

A présent les mots me manquent pour décrire le déchaînement des étudiants, la fureur qui les saisit à la vue de cette feuille de résultats semblable à leurs yeux à un rêve qui se matérialise…On fonce dans le tas, on force le passage avec cette maudite feuille comme seul point de mire. Mais on est gêné par ceux de devant qui, ayant pris connaissance de leur résultat, restent comme stoïques devant le mur à notes…A l’arrière on s’insurge contre la manie irritante qu’ils ont de ne pas pouvoir sortir de leur stupéfaction, soit qu’ils se sentent obligés de partager leur enthousiasme avec d’autres reçus, soit que, remplis de désespoir, ils cherchent un second souffle pour s’arracher à cette hébétude où les plonge leur non-admission. Noyées dans ces gesticulations, perdues dans la cohue de ces frileux convulsifs, certaines filles se débattent en furieuses...Déjà une recalée devant le mur s’effondre en larmes. Comment est-ce possible ? Et si nous ? Elles ont beau imaginer, la terreur étouffe leur imagination qui s’épanouit pourtant dans le délire dès qu’il est question de leurs notes. Non ! Non ! Par pitié ! Elles sont si transportées d’effroi qu’elles se ruent littéralement sur le mur. L’imminence du pire, bien loin de les paralyser, leur fait perdre tout contrôle. C’est une vraie furie. Elles se débattent entre elles pour affronter le verdict, pour savoir si elles vont partager le genre de calvaire de la recalée...

Je suis resté tout ce temps loin derrière, le sourire en coin. La joie que beaucoup manifestent, la détresse des autres ne laissent pas de me fasciner. Je les vois autour de moi jouir de leur résultat positif, exhiber leur bonheur immonde. Certaines filles s’arrachent les cheveux, hurlent, maudissent le monde entier… Je prends mes distances… On commence à partir. En voilà une qui se contorsionne de joie. C’est à son copain éternel qu’elle va donner la primeur de son résultat dément. Il est revenu au cœur de toutes ses pensées. Elle a été si odieuse pendant la quinzaine des révisions, pendant cette période si délicate pour le couple ; elle s’est montrée si susceptible, si réfractaire aux attouchements qu’elle s’est promise de se donner à fond quand l’heure de la coucherie sonnera à nouveau. Il s’en est fallu de peu que cette histoire verse dans le dramatique. Il n’en est rien pourtant. Il a su patienter, d’autant que si sa lassitude lui susurrait d’aller tout faire valdinguer séance tenante, son fond d’épicier plaidait sa cause et le convainquait qu’il ne retrouverait pas de nouvelle partenaire avant longtemps. On ne sait d’ailleurs jamais sur qui on va tomber. Plus moche que l’autre, des tas de conversations à s’infliger avant de se découvrir un résidu d’affinité. Ni trop, ni moins, plantée entre les extrêmes, celle là ne fait pas de complications. Une perle rare. Toujours partante pour des divertissements d’ennuyés, pas rétive à se faire bourrer quand le mâle la sollicite et la presse, à lui offrir enfin ce simulacre de plénitude qui lui fait défaut dans la solitude.
Une autre d’un pas lourd s’en va rejoindre une sacrée déculottée. Elle n’aurait pas dû s’envoyer en l’air pendant les révisions. Le type s’est montré imprévoyant car si la négligence de sa copine lui a permis de se vider quand l’envie se faisait pressante, il risque maintenant de fameusement trinquer. C’est à un afflux de plaintes, de lamentations qu’il va devoir résister. Il lui faudra y répondre par des paroles prévenantes, consolatrices, fines. Tout cela n’est pas son fort. En plus imaginons qu’une fois l’échec consommé, le délire la saisisse de remettre sa vie en question, il est plus que probable que la première victime de ce vaste chambardement sera ce chéri en voie de ne plus l’être. Il se repentira de ne pas l’avoir forcée au travail car il se trouvera privé de l’hygiène mentale qu’elle savait lui fournir en soumise. Une fois qu’on en a une, il convient de la garder, sécurité de l’esprit oblige

28/01/2010
Sombreval

Tags : Université





1.Posté par ricobanga le 01/02/2010 18:32
ha ha ha ! ce texte m'a bien fait rigoler ...

2.Posté par OR le 14/05/2013 19:14
La publication a fait sauter un mot "car si la négligence de sa copine lui a permis de se vider.. l'esprit ".

D'où "l'importance d'être constant" et "La conscience et la vie", à relire sur Kindle...

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