La tradinette in cœlestibus - II



La tradinette in cœlestibus - II
Tu fais comme celui qui connaît une chose
par son nom seulement, sans voir sa quiddité,
tant que quelqu’un ne vient pour la lui faire voir
.
(Dante, La Divine comédie, Le Paradis, chant XX)

Le post de Tibère qui a été très lu m’oblige à préciser certains points. Tibère, ai-je écrit, «confond, la tradinette formatée par son milieu et la tradinette que Dieu pense et veut de toute éternité». En effet, «toute quête amoureuse comporte un principe d'action, une activité théurgique. Il s'agit donc pour nous de faire correspondre la tradinette choisie à son modèle transcendant», de la conformer à son type éternel et de lui restituer tout l’éclat de sa «sophianité» pour employer le langage orthodoxe.

Lorsque j’écris que le chrétien ne doit pas seulement trouver son complément féminin mais aussi le créer, je ne fais que tirer les implications de la sophiologie, de la doctrine de Soloviev et de mes propres intuitions. Pour Soloviev, l’eros chrétien purifie le regard en sorte que la femme courtisée est vue «non comme elle apparaît à l’observation extérieure, comme la verraient des étrangers», mais à travers elle. Ce que voit l’homo christianus, c’est l’idéalité de sa personne. Il «pénètre sa substance et son idée véritable, la voyant telle qu’elle a été depuis le début prédestinée à être, telle que Dieu la voit de toute éternité et telle qu’elle sera définitivement» (Soloviev).

La sophiologie nous enseigne que la Sagesse divine, antérieure au monde (Prov, 8) et hypostasiée dans le Fils, est le contenu du projet de Dieu sur le monde, le panorganisme, le réceptacle des pensées divines. Il y a donc une préexistence, une préfiguration des êtres et des choses en Dieu. C’est ainsi que Clément d’Alexandrie écrivait : «Nous avons existé avant même la création de ce monde, car notre création a été décidée par Dieu bien avant que nous fussions créés, et par conséquent, avant même d’être créés, nous existions dans la pensée de Dieu». Ou encore Frank-Duquesne : «Avant même qu’elles ne deviennent des réalités objectives par la création, Dieu contemple toutes choses dans la Sagesse découverte en son Fils comme des idées fécondes et réalisables, voire dignes de réalisation, donc à réaliser». Il s’ensuit que chaque être a son idée qui est à la fois sa base, sa norme et son «entéléchie». Et le post de Tibère nous démontre que le décalage entre l’idée d’une créature et sa réalisation spatio-temporelle, où intervient tout le poids de la liberté et qui renvoie aux distinctions philosophiques puissance-acte, essence-existence, ce décalage donc peut être une source d’affliction. D’où la réaction de notre lecteur qui, emporté par sa colère, par sa rage déçue, aveuglé par ce qu’il croit être la réalité de la tradinette, perd de vue l’idée, le prototype céleste. Son erreur vient de ce qu’il confond le modèle et le reflet caricatural et déformé.
En plagiant Simone de Beauvoir, on pourrait dire qu’ «on ne naît pas tradinette, on le devient». Et le devenir nécessite de suivre la méthode contemplative d’Edith Stein qui, dans son commentaire du De Veritate de saint Thomas d’Aquin, affirmait ceci : «C’est seulement en nous absorbant dans la pensée éternelle que Dieu a sur nous en son Fils de toute éternité, que nous pouvons espérer devenir vraiment nous-mêmes : réaliser le dessein, la vocation divine qui, seule, peut donner un sens, son sens à la vie humaine».

Vous allez me dire : mais quelle est l’ «idée» de la tradinette que la réalité médiocre nous empêche de discerner ? Nous ne voyons que des jeunes filles sèches, idiotes, intéressées, ou qui font la gueule. Cette «idée», son nom par lequel nous la qualifions (et qui n’a rien de fortuit, d’adventice ou d’arbitraire), son nom la recèle… Tradinette… c’est un nom aux sonorités enivrantes et qui connote la légèreté, la grâce joyeuse, la douceur aimante, le dévouement et la tendresse. Appelée à illuminer la piété chrétienne, à devenir une «sentinelle de l’invisible» (Jean-Paul II), elle s’est dérobée à la vocation, à la destinée incluses dans son nom. Elle a honteusement déserté.
«Nomen est omen» disait la sagesse antique : le nom est un présage. Le nom, au-delà de la succession des sons, du langage articulé, c’est la quiddité, l’essence distinctive d’un être ou d’une chose et puisque l’agir suit l’être, la destinée, le devenir. Adam en nommant les animaux dans la Genèse a comme fixé leur essence. C’est pourquoi, «quel que soit le nom donné par l'homme à tout être vivant, c'est ce nom-là que cet être porte» (Gen, 2-19). Assujettie au nom que nous lui avons imposé et qui est comme le gage de sa déification, la tradinette est acculée à cette alternative : soit fuir, trahir, mentir, soit accomplir sa destinée, «devenir ce qu’elle est».

29/12/2008
Sombreval






1.Posté par Pierre le 24/01/2009 22:55
Sombreval, nouveau monsieur Keuner...

Quand Monsieur K. aimait quelqu'un

"Que faites-vous" demanda-t-on à monsieur K., "quand vous aimez quelqu'un?"
"J'ébauche un portrait de lui", dit monsieur K., "et je prends soin qu'il lui ressemble."
"Qui? le portrait?" "Non", dit monsieur K., "ce quelqu'un."

2.Posté par Jean Gourgue le 30/08/2009 16:37
On peut citer Dostoïevski pour compléter Soloviev : "Aimer un être, c'est le voir comme Dieu a voulu qu'il soit."

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