Fonds Frank-Duquesne
Création et Procréation, essai de Frank-duquesne paru en 1951 aux Editions de Minuit, est dorénavant téléchargeable et disponible en fichier PDF. Plusieurs critiques de l'ouvrage sont disponibles sur le site (cliquer dans la rubrique "Recensions")

Création et Procréation

Présentation :
Création et Procréation d’Albert Frank-Duquesne, livre très complexe mais riche en aperçus théologiques pénétrants, restitue dans sa profondeur et son mystère ce que l’époque moderne a voulu dévaster et corrompre à tout jamais, le mariage et l’idée du couple telle qu’elle subsiste dans la pensée de Dieu.

Dans le «Principe», dans Sa Sagesse incréée, Elohim créa Adam «mâle et femelle», c'est-à-dire homme intégral, homo, terme par lequel l'auteur exprime l’unité de la nature humaine lorsque sont unis (sans confusion) ses deux aspects complémentaires : le masculin et le féminin. En latin classique, le mot homo désigne tout être humain (sans distinction de sexe). Duel en sa manifestation terrestre – duel et non deux (car ce qui caractérise le couple, c’est la symbiose et la complémentarité) – l’homme est un dans son essence, dans la pensée divine : «Il n’y a en Dieu qu’une seule idée de l’homme». Le mariage, dans cette perspective, reconstitue l’homo tel que Dieu l’a conçu primitivement. «Le divorce équivaut donc à une tentative de dé-création […] Par le mariage, l’homme tend à l’actuation et à l’actualisation de plus en plus fécondes de la nature humaine ; par le stupre, il la désactue, la désactualise et trahit l’ordre pour la confusion. C’est comme un sacrement du Chaos, un "mystère" du Dragon qu’on peut discerner dans ces cultes orgiaques, célébrées dès les plus anciens âges…».

Cette conception trouve sa source dans le récit de la Genèse. De ce texte biblique il convient de distinguer le chapitre 1 qui décrit la création idéale de l’homme, le décret divin et le ch II qui nous en décrit la réalisation physique. Eve, complétant comme virago (femelle) le mâle, vir, Eve, objectivation psychosomatique d’Adam, n’apparaît qu’au ch 2, mais c’est dès le chapitre 1 que «mâle et femelle il (Dieu) les créa». Lorsque Dieu proclame, toujours dans le chapitre 2 : «Il n’est pas bon que l’homme soit seul», c’est le mâle, le vir qui est visé, et non point l’homme considéré dans son essence, à la fois double et un, l’homo. Souvenons-nous que dans la Genèse, après chaque création nouvelle, Dieu, en même temps qu’il donne l’existence aux êtres les bénit, les proclame «bons», c'est-à-dire qu’il les proclame fidèles à sa pensée, fidèles à leur archétype. Dans le deuxième chapitre, le mâle humain, seul à représenter l’homo, la nature humaine, ne paraît pas «bon», pas conforme à l’idée que Dieu se fait de lui. Il n’est pas «bon», pas digne de la création qu’il ne soit que la moitié de soi-même, stérile, qu’en lui soit brisé l’élan diffusif de l’être. Un simple mâle ne peut réaliser l’injonction divine de la sainte Genèse : «Croissez et multipliez» (crescite et multiplicamini).

L’homme est incapable de se réaliser par lui-même. C’est un être relatif et non pas absolu. L’épanouissement de sa nature requiert donc le concours d’un complément, d’une aide, mais d’une aide qui «se tienne devant lui», comme le Verbe face au Père, une aide qui le complète, qui trouve son propre accomplissement à compléter l’homme : «D’après l’hébreu de la Genèse, la Femme doit "se tenir devant l’Homme". Celui-ci ne parvient à la pleine conscience de ce qu’il est, et d’ailleurs n’est pleinement lui-même, que s’il s’aperçoit, se retrouve, se découvre en la femme. Il y a là comme une vie à deux, mais dans une seule âme : on abandonne sa propre détermination de soi-même, on renonce à soi, et, en retour, on s’emplit par l’amour de la vie de l’autre. On trouve son centre supérieur au lieu du sien propre ; comme dit le Sauveur on est remis en possession de soi même. Essentiellement réceptive la Femme a besoin de recevoir le don masculin pour rendre le mâle à lui-même : c’est d’ailleurs le tragique d’innombrables couples que l’homme païen jouit de sa femme en égoïste, ne lui donne pas, surtout rien de ce qu’il a d’essentiel, parce qu’il vit, en vrai païen dans l’immédiat, puisqu’il "n’y a rien d’autre, n’est-ce pas?" D’où le dévergondage féminin trop souvent imputable au compagnon sans compagnie…»

Au chapitre I la vue divine sur l’homme, la pensée d’Elohîm constitue d’emblée l’homme duel : mâle et femelle. Le chapitre II, opérant le glissement du métaphysique à l’historique, nous montre la création du mâle distincte de (et préalable à) celle de la femme. C’est alors que «Dieu conçoit la solitude du mâle comme une malédiction, quasiment comme une anomalie, une dérogation à l’ordre, une subversion de son dessein sur l’homme, la créature se trouvant inapte à réaliser ce pour quoi Dieu l’a suscitée dans l’être», c'est à dire collaborer à l’œuvre créatrice, accomplir sa destinée surnaturelle. Bien entendu il est d’autres épousailles, mystiques celles-là, qui peuvent conduire un être à se consacrer entièrement à Dieu au prix d’un renoncement à soi. Ce sont ceux qui se «sont fait eunuques en vue du royaume des cieux» et qui exercent une paternité spirituelle, autrement profonde et féconde que celle découlant de l’union conjugale : «La paterno-maternité spirituelle des continents par ministère reflète ici-bas celle de Celui qui "siège en l’inaccessible lumière"…Si les fidèles reproduisent en quelque sorte les Noces de l’Agneau, s’ils manifestent par le "signe" du Mariage les rapports du Fils avec l’Eglise, ne pourrait-on soutenir que les prêtres à qui vingt siècles d’unanime tradition réservent l’appellation de pères, sont ici-bas les "ombres" de cette Personne en qui l’active génération se passe de tout autre, de tout "conjoint" ?»

Pour l’écrivain, l’union de l’homme et de la femme ne suscite pas une union temporaire, fortuite de deux êtres. Elle crée un être nouveau, distinct des deux êtres particuliers qui le composent : «une seule chair» dit le Christ : «L’existence duelle est une indispensable symbiose, une vie double, un être possible à deux, et qui n’est plénier, parfait, donc vraiment lui-même qu’à deux […] Il ne s’agit pas de deux entités, dont chacune pourrait accomplir pleinement sa carrière, remplir sa fonction essentielle».

Cette vie double, plénière, parfaite par la progéniture, est une vie de symbiose et d’échange qui est image de la Trinité : «En créant le mâle et la femelle, Dieu n’a entendu constituer ni l’un ni l’autre pour lui-même. De même qu’au sein de la Bienheureuse Trinité la première personne n’est Père que par rapport au Fils, et réciproquement, Chacune des Deux conditionnant le quid proprium de l’Autre, ainsi l’époux n’existe que pour l’épouse et vice-versa. Un mâle isolé, une femelle unique, n’aurait pas de raison d’être : il n’y aurait pas d’homo. Et, comme l’Esprit d’amour communique, répand fait rayonner et manifeste la dilection du Père et du Fils, comme il agit à la manière d’une vivante et substantielle étreinte, ainsi la progéniture humaine, sans toutefois permettre à l’espèce (à la multitude, qui est extensive) d’atteindre à l’intensif infini, toutefois complète, achève, achemine (indéfiniment, inexhaustivement) le Couple vers la perfection ».
En procréant l’homme est donc fidèle à sa vocation de créature-image de la vie trinitaire :
« Tout mariage immodeste, note l’écrivain, ayant pour but d’assouvir la chair impatiente, et surtout s’il foule aux pieds, comme les cochons de l’Evangile, la Loi même du mariage, est un blasphème à l’égard du Verbe, de Dieu. Combien d’ "époux" se rendent compte qu’en recourant aux poisseuses recettes qui doivent assurer le massacre des innocents, ils projettent leur semence, non pas à terre, comme le croyait Onan, mais en pleine Face de Dieu ? Devant cette violation des lois les plus élémentaires, que les bêtes respectent, il est d’un sinistre augure pour le sort des coupables que la terre ne s’ouvre pas pour les engloutir séance tenante ».

En outre si, pour l’apôtre Paul, le mariage est un «grand mystère», c’est parce qu’il symbolise, c'est-à-dire, si l’on s’en tient à la définition exacte du symbole, qu’il manifeste, reproduit, re-présente (rend présent, restitue à la présence physique), sur le plan de la chair et dans le cadre du temps, l’union du Christ et de l’Eglise : «Le mari est la tête de la femme, tout comme le Christ est la tête de l’Eglise, qui est son Corps et dont il est le Sauveur. Or, de même que l’Eglise est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent l’être à leurs maris». Et l’apôtre continue : «Vous, maris, aimez vos femmes, tout comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré Lui-même pour Elle. Celui qui aime sa femme, s’aime lui-même».

Le Christ, dans sa réplique aux Pharisiens, s’est expressément référé aux premiers chapitres de la Genèse pour définir le sens et l’essence du mariage. Affirmant son indissolubilité, Il l’a élevé à la dignité de sacrement : «Dans le principe de la création (dans cette initiale Sagesse où tout ce qui devint a son être immuable) Dieu fit l’homme et la femme»… «c’est pourquoi », poursuit Jésus, en vertu de cette essentielle unité, certes duelle, mais unité quand même – car le mâle et la femelle, séparément pris, ne constituent pas plus l’Homme qu’aucune des Trois Personnes ne constitue à Elle seule le Dieu parfait dans sa tri-unité – «c’est pourquoi, l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair, une seule vie». La conclusion du Seigneur est redoutable : «Que l’homme» – c'est-à-dire le créé, l’éphémère, et plus encore ce qu’il y a d’irrationnel, d’antisapiental, de chaos, de non-être en lui – «que l’homme ne divise pas ce que Dieu a uni» (Matthieu 19, 3-12).
Comme le rappelle le Catéchisme du Concile de Trente (voir ici : la Loi Evangélique a ramené le Mariage à son premier état, à sa pureté originelle. Il l’a fait passer de la nature à la surnature. Les Juifs, peut-on y lire, «observaient (jusqu’alors) les lois du Mariage avec un respect vraiment religieux (…) Ils considéraient avec raison comme un devoir de haute piété d’avoir des enfants et de contribuer à l’accroissement du peuple choisi d’où Jésus-Christ notre Sauveur, dans sa nature humaine, devait tirer son origine. Mais ces unions-là même ne renfermaient point la véritable essence du Sacrement…Il faut joindre à cela que, sous la Loi de nature, après le péché de nos premiers parents, soit même sous la loi de Moïse, le Mariage avait singulièrement dégénéré de sa première Sainteté. Ainsi sous la Loi de nature, nous voyons que beaucoup de Patriarches avaient plusieurs femmes à la fois ; et sous la Loi de Moïse il était permis de répudier une femme pour certaines raisons, en lui délivrant un billet de divorce…»
Jésus n’admet pas la répudiation ni que l’adultère commis par un des époux dissolve le lien conjugal. Et le divorce est l’objet d’une condamnation implacable : «Quiconque divorce et se remarie commet un adultère ; quiconque épouse une femme divorcée commet un adultère» (Luc, 16:18). Cette affirmation est reprise à son compte par saint Paul : «Aux personnes mariées, j’ordonne – non pas moi mais le Seigneur – que la femme ne se sépare pas de son mari ; mais à supposer qu’elle le quitte, qu’elle reste sans se remarier ou qu’elle se réconcilie avec son mari ; de même que le mari ne répudie pas sa femme».

Cette exigence inhérente au mariage tel que Dieu l’a établi à l’origine, on en trouve des échos dans l’Ecriture et certaines traditions juives. Qu’on songe au chapitre II de Malachie. Frank-Duquesne mentionne également deux traités talmudiques, dont le Baba Bathra (Traité de la Dernière Porte) dont l’auteur réfute les objections des partisans du divorce en affirmant qu’au «principe» Dieu créa l’homme «mâle et femelle», de sorte qu’il s’agit, non d’une simple union, mais d’une réelle unité, que le péché d’adultère même ne peut abolir. Nous retrouvons là l’idée centrale que nous avons développée dans cet article.
L’écrivain enfin expose les arguments, fondés sur l’Ecriture et les dogmes (en particulier le dogme de la résurrection de la chair), qui justifient la doctrine de l’Eglise concernant l’indissolubilité du mariage. Il utilise un exemple très simple :
« Jeanne épouse Charles. Il n’y a plus dès lors ni Jeanne ni Charles, mais un seul être vivant, une seule "chair" que manifestent un Charles "jeannisé", tout comme une Jeanne "carolisée" ». De là résulte l’indissolubilité du mariage… « On comprend dés lors la répugnance qu’éprouvait l’Eglise primitive à l’égard d’un nouvel hymen après décès d’un des conjoints : ce n’est pas Jeanne, veuve de Charles, redevenue Jeanne comme avant son premier mariage – comme si celui-ci n’avait rien eu que d’occasionnel et d’adventice – ce n’est pas cette Jeanne là, désormais inexistante, qui épouse Louis…mais Jeanne "carolisée", la moitié complémentaire, la virago de l’homo Charles-Jeanne. Si la vie future du chrétien devait être exclusivement spirituel, on concevrait que la mort mit fin, délibérément, à toute unité de chair. Mais l’église croit à la "résurrection de la chair" pour sa "vie éternelle". Dès lors, l’intégralité d’une chair ayant reçu son complément comme un "mystère", comme un sacrement, d’où résulte son indissolubilité tant qu’il y a "chair", cette indissolubilité est promise à l’éternité ».

Pour aller plus loin

Vous trouverez sur Sombreval.com des articles qui exposent et prolongent certaines thématiques de l'essai de Frank-Duquesne :

Méditations sur Jean, 1:4 : "Ce qui est devenu, était vie en Lui"

La Dei-Humanité (Boulgakov, Frank-Duquesne, Louis Bouyer


Rédigé par Sombreval le Vendredi 13 Mai 2011 | {0} Commentaires

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